Jette, rendez-vous d'avant-garde

Mylène Mistre-Schaal
25 mai 2021

A Jette, Magritte a un nouveau voisin ! Depuis décembre 2019, le nord de la capitale s’est doté d’un musée inédit : le MAA, Musée d’Art Abstrait. Le collectionneur André Garitte, passionné de surréalisme et déjà initiateur du Musée René Magritte, présente désormais sa collection d’art abstrait dans la maison attenante. Deux salles, deux ambiances, pour une expérience intimiste au fil des courants d’avant-garde du XXe siècle.

André Garitte : passions plurielles

Tout pourrait commencer par une petite étiquette, a priori insignifiante, exposée au troisième et dernier étage du Musée d'Art Abstrait. L’étiquette de la sonnette de René Magritte, où, d'une écriture à peine tremblante, le peintre avait écrit son nom alors qu’il résidait rue des Mimosas à Schaerbeek. Le collectionneur anversois André Garitte, dépositaire de ce singulier autographe, l’a conservé comme un souvenir des visites régulières qu’il rendait à la famille Magritte et du lien affectif qui les unissait. Un détail peut-être, mais qui dit beaucoup du rapport intime que le collectionneur n’a cessé d’entretenir avec les artistes de sa collection. Un lien fort, amical parfois, qui parcourt tous les étages du musée.

Passionné par le surréalisme, ce n’est qu’en 1982 que Garitte prend le virage de l’art abstrait. « L’art abstrait ne s’apprend pas, c’est une langue universelle plus intuitive peut-être que le surréalisme et vers laquelle je ne me suis tourné que plus tard, avec la maturité », nous confie-t-il.

Bibliothécaire, poète à ses heures, puis collectionneur « avec des moyens limités », André Garitte a rassemblé, en 750 œuvres, 120 artistes abstraits, majoritairement belges. Sa collection balaie volontiers les habitudes d’une époque où le monde de l’art belge était encore très cloisonné. Elle mêle indifféremment artistes wallons et flamands, ouvrant un panorama plutôt exhaustif sur ce courant d’avant-garde.


Abstractions au passé composé

Des années 1920 aux années 1970, le Musée d’Art Abstrait embrasse les deux principales vagues de l’abstraction. Des pionniers au foisonnement de la deuxième génération, dans les années 1950, l’accrochage fait se succéder jeux de formes et de couleurs sans aucun impératif thématique ou stylistique. Sans complexe, les toiles minimalistes ou géométriques d’un Pol Bury ou d’une Francine Holley avoisinent les œuvres plus gestuelles, voire lyriques de Pierre Alechinsky ou de Jean Milo.

Au rez-de-chaussée (consacré à la deuxième génération d'artistes abstraits), entre un marbre de Jan Dries et un étonnant Roger Raveel, Thegreenmellow, plâtre de Bram Bogart, expose sans complexes son matiérisme expressionniste. Offerte par l’artiste, qui fut un proche d’André Garitte, cette sculpture témoigne des liens forts qui unissaient ces deux enthousiastes. Plus loin, une toile de Kurt Lewy (dont le musée possède 17 œuvres) reflète aussi l’amitié du collectionneur avec la veuve du peintre.

Parmi les raretés qui font le sel de la collection, on note également une belle série de petits vases colorés signés Jan Cockx ou de remarquables pastels de Jules Schmalzigaug. Véritable pionnier de l’abstraction, cet artiste atypique tenté par l’avant-garde futuriste, travaille essentiellement le pastel. Daté de 1915, Vue sur Delft raconte son exil aux Pays-Bas, dans une veine lyrique, réchauffée par les lumières nostalgiques d’une Italie rêvée.

Au dernier étage, ne pas manquer le somptueux Port d’Anvers, par Floris Jespers, deux toiles de Jean Rets, premier peintre abstrait à entrer dans la collection Garitte, ou une petite œuvre très attachante de Gustave Singier, peintre belge ayant fait carrière en France.


Intime conviction

Plus que voisins, mais pas tout à fait colocs, le Musée d’Art Abstrait et le Musée René Magritte sont liés par une porte ouverte, comme aimait tant les peindre « le saboteur tranquille ». Au deuxième étage du MAA, une ouverture permet en effet de passer d’un monde à l’autre, sans autre transition qu’un simple paillasson.

Si le parallèle entre les deux musées peut sembler farfelu au premier abord, surréalistes et abstraits ont pourtant quelques gènes en commun. « Frères ennemis », ils sont, d’abord et avant tout, de la même génération. Magritte, on l’apprend, a d’ailleurs été peintre abstrait au tout début de sa carrière. De chaque côté de cette porte ouverte, quelques clins d’œil font passerelle. Comme cette œuvre du peintre abstrait Pierre-Louis Flouquet, qui partagea un atelier avec le jeune Magritte avant que les deux hommes ne se brouillent. Ou la présence d’œuvres de Christian Dotremont, à la frontière entre abstraction lyrique et surréalisme.

Côté Magritte, la visite se termine par la reconstitution de l’appartement et de l’atelier du peintre. Une percée au cœur de l’intime qui vient boucler la boucle. De la collection à l’atelier et de l’abstraction au surréalisme, le parcours muséal raconte aussi le lien extrêmement personnel qu’André Garitte n’a cessé et ne cesse d’entretenir avec les artistes. L’intime conviction d’un collectionneur qui place l’humain au cœur.

 

Musée d'Art Abstrait - Musée René Magritte
135 rue Esseghem
1090 Bruxelles
Du mercredi au dimanche de 10h à 18h
http://www.magrittemuseum.be

 

Mylène Mistre-Schaal

Journaliste

Historienne de l’art avec un goût prononcé pour l’art contemporain, Mylène Mistre-Schaal est collaboratrice régulière pour le magazine culturel Novo. Elle écrit également pour le city-magazine français ZUT et pour la revue Hermès. Co-autrice du livre L’Emprise des Sens aux éditions Hazan, elle s’intéresse tout particulièrement aux rapports sans cesse renouvelés entre l’art et les cinq sens. 

 

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