Bestiarium et histoires urbaines

Eric Valenne
11 avril 2022

Les créatures et créations en céramique XXL de Johan Creten s'exposent à La Piscine de Roubaix. Pour une découverte de ce bestiaire imaginaire, petite balade parmi d'étranges réalisations sorties des fours de l'artiste et raconteuses d'histoires et de rêves de notre époque.       

Souvent qualifié de précurseur ou grand rénovateur dans la céramique contemporaine, l’artiste belge né en 1963 à Saint-Trond, qui vit et travaille à Paris, est reconnu dans le monde entier pour ses étranges évocations animales qui affichent des préoccupations politiques, sociales et humanistes. Il a choisi pour l’expo de présenter un bestiaire d’une petite vingtaine de créations grand format mais également une soixantaine d’œuvres de C’est dans ma nature réalisées pour un projet en banlieue parisienne.


Une chauve-souris visionnaire ?  

Avant la visite, ajoutons la présence à l’extérieur du bâtiment de l’énorme chauve-souris de l’artiste (De Vleermuis, 2014-2019), en bronze patiné. Elle a été réalisée juste avant une certaine pandémie. Si le chiroptère de plus de trois mètres d’envergure s’est déjà baladé dans le monde entier, comme toujours prêt à s’envoler, l’animal invite malgré son air angoissant à faire connaissance. Ou à l’accompagner un moment grâce à un escalier... 


C’est dans ma nature …

Avant de découvrir Bestiarium, une autre démarche artistique (et un peu politique) du même auteur est mise en exergue dans la salle de l’Histoire culturelle et sociale du musée. Il s’agit de l’idée C’est dans ma nature. L'artiste explique : " En 2001, on m’a invité à Aulnay-sous-Bois, dans le neuf-trois (ndlr : connu pour ses banlieues difficiles) où la municipalité m’a demandé de réaliser un projet avec des jeunes, intéressés par l’idée. J’y suis allé. Et au cœur de cette banlieue aux HLM abîmés, à chaque endroit où il y avait un chancre ou un trou dans un bâtiment, on avait décidé de mettre des terres cuites émaillées et des céramiques, comme pour soigner ces blessures sociales. Mais le fait de souligner ces chancres dans les bâtiments et donc ces problèmes de banlieue, la municipalité a fait marche arrière. Heureusement, l'idée d’acheter des faux décors en briques et d’y accrocher les œuvres a fonctionné. C’est ce qui est exposé ici avec ces céramiques fixées sur des panneaux déplaçables. "

Pourquoi C’est dans ma nature ?. "C'est lié à la petite fable de la grenouille et du scorpion. Un scorpion implore une grenouille de l’aider à traverser un fleuve. Cette dernière obtempère et embarque l’arthropode sur son dos à la condition de ne pas être piquée. Mais au milieu du fleuve, le scorpion inocule son venin. - Mais pourquoi as-tu fait ça ? - demande la grenouille. Le scorpion lui répond - désolé, c’est dans ma nature ! Et tous deux coulent … " Mais Johan Creten propose une version plus optimiste où les deux arrivent de l’autre côté ! Et de préciser « Finalement, la question est de savoir : quel animal sommes-nous ? Guêpe, pou, scorpion, grenouille, sauterelle, fourmi, libellule ? »

Le résultat est décliné en 65 petits reliefs en céramique créés par les jeunes de la localité. Accompagnés de quelques bas-reliefs de Johan Creten, ils sont collés notamment sur une dizaine de supports mobiles faits de murs factices en briquettes. Et les terres cuites émaillées qui représentent les insectes parfois pétrifiés, englués, fossilisés… ont donné vie aux émotions ou aux ressentis vécus par les jeunes de ces quartiers. Le tout est à voir comme une sorte de guérison. Et Johan Creten aime à citer Joseph Beuys avec l’Art qui nous guérit.


Fables animales, urbaines, humaines

Dans la série Bestiarium, voici dix-sept créations géantes en céramique d’un inventaire fantastique. Des créations ou plutôt des créatures. Celles d’un bestiaire étrange et pétrifié, parfois mis en situation, parfois vivant, parfois mort. Ces créatures et créations semblent délivrer un message au spectateur. Y apparaît donc pour chacune une petite fable existentielle comme la Mouche morte, l’Hippocampe secret, l’Escargot lent, l’Araignée morte, l’Agneau (lequel arbore une posture aux réminiscences d’agneau mystique qui ressemble à un sphinx ou sur lequel on peut compter des barres d’immeubles, ou y décompter des jours passés en prison, etc.), le Lièvre, le Castor toxique, le Hérisson et les Glands (animal tétanisé et cerné par la bêtise)… Toutes ces grandes céramiques parfois émaillées voient se mêler diverses techniques notamment celle du grès blanc chamoté. Lesquelles céramiques sont soumises à toutes sortes de cuissons (haute ou basse température). L’artiste y ajoute également la sculpture, avec parfois de la glaçure (et ses promesses de surprises à l’issue de la cuisson), etc. Avec également des assemblages de plaques de grès, etc.

Le résultat nous offre ce bestiaire silencieux. Un bestiaire évoquant les fables et la mythologie collective, les défis, les souvenirs, l’imaginaire collectif, les peurs, les traumatismes, les défis politiques...  Autant d’œuvres chargées d’une puissante dimension humaniste, politique ou existentielle... Et toujours cet Art qui guérit.  

Johan Creten
Bestiarium 
La Piscine
Roubaix
France
Jusqu'au 29 mai 
roubaix-lapiscine.com 

 

Eric Valenne

Journaliste

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