Johan Muyle expose à la Belgian Gallery une série de trois sculptures d'assemblage, complexes et intrigants miroirs de nos interrogations.
Les sculptures de Johan Muyle ne savent pas rester tranquilles. Elles vont et viennent, elles tanguent, s'allument et s'éteignent. Comme des questions qui nous traversent l'esprit. Un peu plus d'un an après sa magistrale rétrospective au MACs, l'artiste belge revient à Bruxelles avec trois œuvres créées spécialement pour cette exposition. Des sculptures qu'il faut apprivoiser, car leur sens ne se saisit pas au premier regard. « Quand on rapproche deux objets, apparaît une pensée qui n'existe que par ce rapprochement », précise l'artiste. La Restitution est une œuvre qui confronte l'attrait de migrants africains pour l'Europe et le trajet en retour des œuvres d'art restituées à leur pays d'origine. Un vaporetto qui tangue, la grossesse d'un masque africain et l'indécision en néon qui illumine le dos du personnage, sont les éléments d'un rébus ouvert auquel chaque spectateur fournira sa réponse.
Johan Muyle croit au pouvoir d'évocation des objets, porteurs de sens plus que de mots. Si l'artiste se garde bien d'imposer une réponse définitive, il soigne chaque détail. Jusqu'au socle différent pour chaque pièce. Ici, il propose un cube recouvert d'un film de plastique noir semblable à ceux qui emballent les caisses de marchandises en transit d'un continent à l'autre. Le personnage de L'Arpenteur, posé sur un trépied de géomètre, est emprunté à Constantin Meunier. Ployant sous la pénibilité de son labeur, il porte sur le dos un système solaire à deux boules où la Lune qui tourne autour de la Terre est remplacée par un squelette dont l'ombre se porte sur l'hémisphère Sud. Le cercle de néon, blanc ou rouge, évoque l'auréole de sainteté autant que le joug du galérien. Par son travail manuel, l'homme participe-t-il à sa libération ou à sa destruction ? « Il y a des mots qu'on n'entend plus parce qu'on est préoccupé par d'autres sujets plus immédiats. Mes sculptures m'aident à faire apparaître des questions qui me traversent en cette période schizophrénique. »
La dernière œuvre qui donne son nom à l'exposition s'inscrit malgré elle dans l'actualité la plus immédiate. Un docker, à nouveau emprunté à Constantin Meunier, porte sur son dos deux boîtes de caviar surmontées d'une coupe à champagne qui vibre d'un éclat cristallin chaque fois qu'elle est sonnée. L'œuvre qui évoque l'argent des oligarques s'accompagne d'un drapeau russe. Au moment de la finaliser, c'est l'Ukraine qui faisait face à un ruissellement de bombes. Johan Muyle a alors garrotté un drapeau russe de sangles jaune et bleu.
Contrairement aux prestidigitateurs, Johan Muyle ne met rien dans ses poches et ne laisse rien en coulisses. Tout est apparent. Pour assembler deux objets comme les deux boîtes d'esturgeon que le travailleur porte sur son dos, tel un Rémy Bricka de la manutention, l'artiste crée une complexe armature de fin bambou et de fils en laiton qui donne à cet assemblage une charge de poésie et de fragilité, à l'image de notre condition humaine.
A bocca chiusa (bouche fermée) est un terme d'opéra qui se rapporte aux chœurs qui chantent sans paroles. On peut aussi y voir l'action des migrants qui se sont cousu les lèvres pour signifier que leur parole n'était pas entendue. Comme eux, les trois personnages que Johan Muyle a mis en scène ont la bouche cousue. Ça ne nous empêche pas d'entendre ce qu'ils nous disent. Comme un bourdonnement ou comme une gymnopédie d'Erik Satie.
Johan Muyle
A Bocca Chiusa
Belgian Gallery
39 rue de Florence
1050 Bruxelles
Jusqu'au 28 mai
Le jeudi de 11h à 18h, vendredi et samedi de 14h à 18h
www.belgiangallery.com
Rédacteur en chef
Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT
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