Jos de Gruyter et Harald Thys, Venise en mai

Muriel de Crayencour
29 janvier 2019

La semaine passée, à La Loge, à Bruxelles, a eu lieu la présentation de la programmation du pavillon belge à Venise pour la Biennale 2019, qui sera occupé cette année par le duo d'artistes Jos de Gruyter et Harald Thys. Mondo Cane déploiera des poupées automates représentant des artisans à la fois traditionnels et décalés. L'exposition à Venise est complétée par un site internet, mondocane.be, visible déjà aujourd'hui et qui est une aire d'exposition supplémentaire. L'ensemble sera visible en 2020 à Bozar. Les deux artistes offrent un regard acide, souvent cruel, définitivement décalé et belge, remarquablement actuel sur le monde occidental qui se referme sur des régionalismes souvent archaïques. Une vision orwellienne qui devrait faire sensation.

Ce sont donc deux artistes bruxellois néerlandophones qui représenteront la Belgique à Venise. Traditionnellement, le pavillon est occupé - et financé - en alternance par la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Communauté flamande. Cette année, la FWB, "en écho à l’accord de coopération pour la Culture, établi entre la Communauté flamande et la Communauté française depuis 2013," fait le choix pour Venise de deux artistes flamands accompagnés d'une commissaire francophone, Anne-Claire Schmitzdirectrice de La Loge, une asbl dont les seules subventions publiques proviennent de Flanders State of the Art et de la Vlaamse Gemeenschapscommissie.

 

Une sélection qui fait polémique


Ce choix fait polémique depuis son annonce, au cœur de l'été 2018. Le budget quadriennal le plus élevé dédié aux arts plastiques de la FWB, 450 000 €, sert cette année à valoriser deux artistes néerlandophones. Si la volonté d'ouverture,"d'additionner les expériences, par-delà les communautés", est louable, fallait-il faire un choix dont on doute très sérieusement qu'il sera suivi par un retour aussi généreux de la part de la Communauté flamande dans deux ans ? La question était sur toutes les lèvres cet été.

En août, une lettre ouverte signée par 24 personnalités actives du monde de l'art - directeurs de centres d'arts, collectionneurs, critiques, galeristes... - dénonçait ce choix : "En Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), les modalités de sélection des artistes pour la biennale de Venise, à chaque fois différentes mais toujours annoncées très tardivement, ont souvent suscité une certaine perplexité. (...)  Ce fut le cas encore cette année, (cette) clause a évidemment été respectée par les 13 candidats, en faisant par exemple appel à un commissaire du Nord du pays. Elle est apparue, pour quelques artistes néerlandophones, comme une invitation à participer à ce concours, alors que traditionnellement le pavillon belge est occupé par l’alternance des deux communautés - un des cas de partage équitable d’une institution nationale qui fonctionnait parfaitement bien, et sans exclure des collaborations de la FWB avec la Flandre. (...) Des questionnements et même la consternation ont suivi l’annonce du choix, avalisé par la ministre Alda Greoli, d’un duo de plasticiens flamands (qui ont choisi de vivre à Bruxelles). (...) Il est hors de question dans notre esprit d’incriminer le travail des lauréats, Jos de Gruyter et Harald Thys. Mais que la ministre choisisse d’octroyer à des artistes de la Communauté flamande 450 000 euros, la seule subvention importante, quadriennale donc, en FWB, a de quoi surprendre. L’espoir révélé d’une réciprocité, dans deux ans, reste bien évidemment hypothétique, semble même tenir de l’irréalisme politique. La FWB pourrait bien être absente pendant huit ans de la plus prestigieuse des manifestations internationales ! Le choix de la ministre pourrait même être entendu comme un aveu, celui qu’il n’y aurait pas en FWB d’artistes capables de soutenir l’enjeu de la biennale de Venise, qui est aussi, faut-il le rappeler, une compétition internationale," détaillaient les signataires. Il nous semble évident que le risque est grand que les artistes de la FWB soient invisibles à Venise pour huit années. Car qui garantit que les Flamands feront un choix retour d'ascenseur dans deux ans ? Personne. Bien évidemment, le monde de l'art est international. Et le fédéralisme de la culture est une absurdité. Nous en parlions déjà ici. Pourtant, fallait-il faire un choix si tendu ? On aurait pu sélectionner un artiste francophone et un commissaire flamand, pour commencer en douceur. Et qu'en est-il des revirements politiques d'ici 2021 dans les différents ministères ?

 

 

Un duo d'artistes


Aujourd'hui, l'heure n'est plus à la polémique politique. L'affaire est pliée. Penchons-nous sur le travail de ces deux artistes, Jos de Gruyter et Harald Thys. Ils ont présenté mardi 22 janvier, avec un ton décalé et une étincelle de malice dans les yeux, leur projet. Habitués à distiller des fictions à partir d'une réalité parfois trop réelle, ils se disent volontiers attirés par l'état de psychose de la société actuelle. Le duo travaille ensemble depuis plus de trente ans. Leur collaboration a donné naissance à un langage extrêmement singulier. Photos et vidéos trouvées sur le Net, illustrations, photographies et automates seront au centre du projet Mondo Cane. Dans le pavillon, au centre, des poupées-automates représentant des artisans exerçant leurs savoir-faire. Dans les niches latérales, derrière des grilles en métal, un monde parallèle composé de voyous, poètes, artistes, psychotiques, curateurs... C'est le discours identitaire et la normalité si en vogue aujourd'hui que dénoncent les deux artistes, avec la force de ce ton décalé si belge. Sur le site internet, on clique sur l'un ou l'autre drapeau d'un pays. Suit une vidéo trouvée sur le Net, qui décrit par l'absurde, le ridicule, le symbole caricatural l'idée de ce pays.

Mondo Cane est aussi une expression italienne qui s'est teintée d'une connotation particulière à partir de 1962, avec le succès de la série éponyme qui documentait différentes pratiques culturelles choquantes à travers le monde et donna naissance aux Mondo films, un genre cinématographique caractérisé par une approche pseudodocumentaire privilégiant le sensationnel et l'effet au contenu.

Chez Jos de Gruyter et Harald Thys, le contenu est constitué de cette frange de sensationnel qui borde de très nombreuses communications (photos, vidéos) sur les identités des différents pays qui nous entourent. Ces communications qui nous envahissent et finissent par coloniser notre esprit et nos pensées. Allant chercher ces images, métaphores et symboliques souvent perverties, le duo met à jour la comédie humaine et sociétale actuelle. C'est fort. Nous irons découvrir cela à Venise en mai sans faute !

 

 

 

Muriel de Crayencour

Fondatrice

Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.