Ouverte début octobre au Centre de la Gravure et de l'Image imprimée à La Louvière, l'exposition Kiki Smith est une réussite. Le talent polymorphe et les univers denses et riches de cette artiste américaine sont à voir jusqu'au 23 février 2020.
Sur les poignets et les avant-bras, des étoiles tatouées. Dans les yeux, très bleus, d'autres étoiles. Quel bonheur de rencontrer cette artiste que nous avions découverte au quatrième étage d'un palazzo sur la Piazza della Citerna à San Gimignano, exposée là par la Galleria Continua. Ses grands dessins sur papier de riz, rehaussé à la feuille d'or, étaient simplement épinglés sur les murs de l'appartement, par-dessus des restes de peinture a fresco. Kiki Smith (Nuremberg, Allemagne 1954), vit et travaille à New York. Issue d'une famille d'artistes (mère chanteuse d'opéra, père architecte et sculpteur), elle suit brièvement des cours de cinéma à San Francisco, avant de commencer à collaborer avec le groupe Colab, un collectif d'artistes à New York, qui présente des projets d'édition et d'exposition expérimentaux dans des lieux insolites. Elle y présentera ses premières sérigraphies sur tissu.
L'exposition à voir au Centre de la Gravure, In the Twilight (Entre chien et loup), présente un vaste panorama des différentes pratiques de l'artiste. Kiki Smith sculpte, peint, dessine, grave, crée des livres d'artistes. Autoportraits à la photocopieuse dans les années 1980, éléments de la nature, corps nus, loups, ciels étoilés... l'univers de Smith fluctue entre lumière et pénombre, comme dans ce moment de la journée où le soleil disparaît et la nuit s'installe. Dans cette presque nuit entre chien et loup, tous les possibles s'épanouissent, des fleurs vénéneuses, mais aussi des éclats irisés, des narrations, des débuts de contes fantastiques, une sauvagerie...
Le corps, particulièrement le corps féminin - et le sien, aussi - est au centre de son travail. De la petite fille à la sorcière, Kiki Smith explore les figures archétypales féminines. "Le corps est notre dénominateur commun, la scène de notre désir et de notre souffrance. Je veux exprimer par lui qui nous sommes, comment nous vivons et nous mourons", détaille l'artiste. A partir de 1992, le monde animal apparaît dans son travail. Oiseaux, loups-garous, loups, hiboux... accompagnent les silhouettes humaines dans les gravures, les dessins. "Toutes les créatures vivantes, grandes et petites, sont importantes", ajoute Smith, fervente écologiste. L'aspect narratif et fantastique de son univers prend de l'ampleur, laissant de côté un pan plus autobiographique de ses débuts.
De nombreuses gravures sont à voir, comme cette série sur bois, Mortal, de 2007. Durant le mois qui précède le décès de sa mère, l'artiste lui rend quotidiennement visite. Les douze gravures montrent sans tabou ni peur la lente transformation du corps de sa mère mourante. Chair, peau, yeux, Smith ne craint pas de montrer tout cela. "J'ai besoin de faire, explique-t-elle. Vous n'apprenez pas si vous ne faites pas." Pour Out of the woods (2002), elle se met en scène en sorcière, explorant les 5 sens. "Il faut élever des monuments en mémoire des sorcières qui ont été brûlées, dit-elle. Bien sûr que je suis féministe ! Comme artiste, je m'engage, j'engage ma vie, même si je n'essaie pas de faire quelque chose de spécial. Je me laisse guider par mes feelings et fais confiance à mes talents."
Smith aime se situer à l'intersection entre deux mondes, "Derrière nous-mêmes, là où il y a d'autres mondes, d'autres énergies, des choses non vues et que parfois on aperçoit." Au fil de ses explications, on comprend que cette femme mince et fluette, aux longs cheveux blancs, est comme suspendue entre la terre et le ciel, entre le monde réel et le monde des sensations, des contes, des rêves. Placée là, telle une sorcière bienveillante et sauvage, parfois féroce, elle transmet les cosmologies qu'elle aperçoit ou qui la transpercent, ses visions du monde et des contrées plus sombres de la pensée. L'exposition, très construite, est une merveille. Le talent de l'artiste américaine s'y appréhende dans toute sa diversité et sa générosité. Tout un univers très particulier, reconnaissable, personnel, s'y déploie. C'est à ne pas manquer !
C'est la dernière exposition organisée par la directrice du Centre de la Gravure, Catherine de Braekeleer, qui commença sa carrière ici par une exposition de Louise Bourgeois et l'achève avec une autre femme artiste, 25 ans après. "J'ai retardé un peu mon départ pour pouvoir organiser cette exposition qui me tenait à cœur", nous explique celle qui a eu à cœur de défendre de nombreuses femmes artistes.
Kiki Smith
In the Twilight
Centre de la Gravure
70 rue des Amours
7100 La Louvière
Jusqu'au 23 février 2020
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
https://www.centredelagravure.be/
Fondatrice
Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.
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