Sous le titre La colère de Ludd, le BPS22 expose les acquisitions récentes de la Province de Hainaut ainsi que les œuvres d’étudiants et enseignants de l’ERG collectées par Juan d’Oultremont.
On ne peut que se réjouir de voir un musée ou un centre d’art présenter ses acquisitions récentes faites avec de l’argent public. C’est comme mettre les cartes sur table. Et dans le cas du BPS22 et de la collection de la Province de Hainaut, le résultat est plutôt réjouissant. Outre le choix judicieux, la thématique et le fil rouge offrent une relecture cohérente aux œuvres présentées, loin d’un thème prétexte comme on peut le voir parfois. La sélection qui rassemble des artistes tant belges qu’internationaux décline différents états de dépossession.
Le titre énigmatique La colère de Ludd, fait référence au mouvement de rébellion des ouvriers de l’industrie textile britannique du début du 19 e siècle, qui s’opposaient, parfois par la destruction, à l’arrivée des métiers à tisser et autres machines dont ils craignaient l’impact sur l’emploi et leur mode de vie. La dépossession est multiple et elle peut être sociale, matérielle, sexuelle ou identitaire, elle peut générer de la stupeur et de l’abattement comme de la résistance et de la rébellion. Sommes-nous tous dépossédés d’un paradis, réduits à n’être que des poissons d’aquarium contemplant sans le comprendre un paysage édennique ? nous demande avec ironie Jacques Charlier dans une imposante pièce qui remonte à 1986. Avec son troublant siège enfant à deux jambes Priscilla Beccari évoque la dépossession du corps et l’absence des femmes dans la société. Le parcours n’est pas décomposé en chapitres rigides, de nombreuses œuvres faisant écho à différentes dépossessions qui se chevauchent et se répondent.
Comme Diane Arbus, dont elle s’inspire, Miriam Cahn nous offre le portrait d’un de ces déclassés de la société, dépossédé de tout qui n’a rien que son corps nu pour exister. Au centre de la grande halle, trône l’assemblage sculptural de Laurence Dervaux. 750 réceptacles de verre transparent, vases, verres, bocaux ou flacons de laboratoire emplis d’un liquide rouge pour évoquer l’énergie qui nous habite, le sang que pompe notre cœur en 1h 28 et qui, chaque seconde, nous maintient en vie. Et si la dépossession était une chance pour se réinventer ou se dédoubler comme les Réfractaires de la tapisserie de Charlotte Beaudry ou comme le double chamanique que Barbara Massart invite dans la vidéo de Nicolas Clément où elle se réinvente dans une déambulation en une forêt magique. Eclectique dans ses choix, cette ballade luddite se révèle aussi riche dans ses propositions et ses interrogations.
Pendant plus de vingt ans, Juan d’Oultremont a été un des professeurs d’arts plastiques de l’ERG. L’exposition qu’il tire de cette expérience tant humaine qu’artistique est entièrement à son image. Décalée, même si tout est soigneusement organisé et rangé, inattendu et maniaque, léger et sérieux. Outre son travail de guide et d’accompagnateur, l’artiste cissiste est aussi un collectionneur compulsif, non seulement des œuvres de ses collègues et de ses élèves artistes, dont il était souvent le premier acquéreur, mais aussi de tous les mots griffonnés à la hâte, par ses étudiants dans le capharnaüm de l’atelier pour protéger ou encadrer leur travail en cours ou pour attraper une pensée surgissante. Tirés de l’urgence et de leur contexte, ces phrases concises suintent de drôlerie et d’absurde surréaliste. L’exposition qui tient à la fois du catalogue, raisonné mais partiel, et de l’installation avait été montrée une première fois à l’ERG sous le savoureux titre, emprunté à un de ces mots d’étudiant Ne pas déplacer ce rondin, c’est un travail.
Invité par Pierre-Olivier Rollin à déployer ces trésors sous les voutes carolo, Juan d’Oultremont a revu sa sélection comme on agite un shaker et propose, paré du nouveau titre Mort au rose fluo ! 50 œuvres d’étudiants et d’enseignants de l’école d’art bruxelloise. Pour ne pas intimider le visiteur, l’exposition évite toute ostentation et la joue plutôt bleu de travail, avec ses notes, et avis comminatoires scotchés au mur et ses tabourets métalliques. Au mur et dans les vitrines horizontales, on y voit comme un who’s who de l’art contemporain en Belgique francophone, des artistes discrets ou restés dans l’anonymat et puis il y a les Xavier Mary, Michel François, Benoit Platéus, Ivo Provoost & Simona Denicolai ou Marcel Berlanger dont on retrouve les premières œuvres. Pour les grands noms de demain, il faudra revenir dans 20 ans, car l’artiste continue à acheter et faire le pari de la jeune création. En faux nonchalant et en vrai perfectionniste, d’Oultremont a délégué son double pour guetter l’apparition d’un rose fluo de contrebande, introduit par un visiteur inconscient. C’est vrai on ne sait jamais.
La colère de Ludd
Jusqu’au 24 janvier 2021
Mort au rose fluo !
Jusqu’au 8 novembre
BPS22
22 Boulevard Solvay
6000 Charleroi
Du mardi au dimanche de 11 à 19h
www.bps22.be
Rédacteur en chef
Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT
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