Pour l'exposition collective Là où je me Terre, l’ISELP présente une dizaine de propositions artistiques qui neutralisent la monotonie du quotidien et attirent notre regard sur des modes de retraits inventifs construits dans une volonté d’autoprotection. Nocifs ou salvateurs, ces cocons modernes englobent des mondes intérieurs riches en récits intimes et inspirants pour les artistes.
Cosplay, objets oblongs, furry, hormonologie, solastalgie... directement, nous entrons en contact avec des termes spécifiques qui sollicitent des créativités hétérogènes et habillent une régression aussi silencieuse que nécessaire. Les pièces présentées n’apportent, à première vue, pas de clé de lecture concernant le concept qui les a motivées, c’est donc au spectateur de venir creuser de sa curiosité les strates du processus, leur intérêt étant situé au-delà de la qualité esthétique. Vase de colère (Léa Belooussovitch), soin de réplétion (Set & Chloé), gâteaux émotions (Léa Mayer & Maëlle Maisonneuve) : l’intrication du well-being et du capitalisme se dessine le long du fil scénographique qui joue avec nos référentiels et associe objets et affects.
Si ces espaces intermédiaires existent, c’est dans le but de ne pas éclabousser et de ne pas perturber les autres de nos dysfonctionnements. Ces usages en marge posent un filtre sur notre environnement pour équilibrer le trop-plein émotionnel qu’il suscite mêlant rêverie visuelle et sphère scientifique. Mais le courage, chez moi, était déjà mort depuis longtemps, peut-on lire sur l’un des petits écrans du fond de la salle : c’est cachées craintivement derrière des paravents de papier japonais en noir en blanc que se trouvent les tranches de vie numériques extraites par Katherine Longly. Elles explorent le syndrome hikikomori avec Failed I have, In Exile I must Go (2023), un véritable leitmotiv concernant les interrogations que soulèvent le reste de l’exposition. Les récits qui suivent ne sont pas dissimulés, mais ils se présentent de façon à ce que nous menions nos propres recherches : avec Hormonol (2021) de Set & Chloé, des fibres cellulosiques tissent une sculpture organique. Un salon de bien-être vient rassembler des éléments parodiant le monde du développement personnel avec Detox (2022-2023) d’Harold Lechien. Des fourrures loufoques non identifiables effacent les modèles qui les portent avec Brox (2012) et Blacky black (2012) de Charlotte Lybeer. Autant de saynètes peu communes qui forment un ensemble où l’on peut déceler une érudition naissante.
S'il en retourne de la protection des feux intérieurs, il en va également de celle de notre environnement - naturel et communautaire - auquel notre survivance est intrinsèquement liée. Bruno Goosse le souligne avec cynisme dans son installation Extinction des Feux (2023), où le lien qui unit maladie et qualité de l’air est pointé du doigt. La vidéo La Lecture de L’air (2021) de Jean-Maxime Dufresne & Virginie Laganière prend une tournure sociologique en se questionnant sur la symétrie entre ordre collectif et équilibre individuel. Cette direction est aussi portée à l’écran par Olivia Boudreau avec L’étuve (2011), qui propose une expérience voyeuriste du sauna, narrant la position à la fois purificatrice et incommodante d’un lieu d’ablution public. Par-là, nous pouvons observer comment la paix commune est une question de pondération entre intériorité et milieu externe.
Des combinaisons aux techniques mixtes et ingénieuses qui révèlent des systèmes de défense créatifs. Ces explorations artistiques d’espaces physiques ou fictifs soulignent le besoin de prendre de la distance sur un mode de vie qui nous demande un ajustement récurrent au détriment de notre intégrité. L’harmonie ne tient qu’à un fil quand il s’agit d’autorésilience.
Là où Je Me Terre
ISELP
31 boulevard de Waterloo,
1000 Bruxelles
Jusqu’au 1er juillet
Du mardi au samedi, de 11h à 18h
www.iselp.be
Journaliste
Sûrya Buis est philosophe de l’art. Les sciences sociales, la philosophie et la littérature nourrissent son travail. Fascinée par le pouvoir de l'imagination, sa réflexion est basée sur les mécanismes psychiques qu’une œuvre d’art active et leur rôle dans la désorganisation des schémas de pensées. Transmettre ses ressentis sur différentes propositions artistiques par le biais de l'écrit lui permet d'extraire des sensibilités polyphoniques.
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