A la santé du Wiels !

Muriel de Crayencour
13 janvier 2014
Le centre d’art Wiels, ouvert depuis mai 2007, grand paquebot moderniste, a gagné en quelques années son statut de lieu incontournable de l’art contemporain à Bruxelles. Son rayonnement est international, ses expositions, de premier plan. Retour vers cette aventure qui reste fragile financièrement.

Les initiatrices du projet, dès 2002, c’est Sophie Leclerq et Sylvie Mazaraki. Toutes deux s’intéressent au partimoine architectural moderniste et ont repéré le bâtiment des brasseries Wielemans Ceupens, au bord de la commune de Forest, friche industrielle à l’abandon. Toutes deux connaissent aussi la problématique de l’absence de lieux d’exposition d’envergure à Bruxelles pour les artistes actuels. Une a.s.b.l. est mise sur pied en 2003 et les travaux de rénovation du bâtiment commencent en 2005.

Pour se faire, la région de Bruxelles Capitale fait une chose qu’elle n’a jamais faite : elle exproprie deux bâtiments : la brasserie Wielemans et le bâtiment juste à côté, devenu aujourd’hui bibliothèque publique flamande. Pour mener le projet à bien financièrement, celui-ci se greffe dès 2005, sur le « Kunsten Decret » de la Région Flamande qui vient d’augmenter son budget alloué aux arts. L’aide financière est de 600.000 euros par an et est accordée jusque fin 2012. De plus, une demande de financement est faite à la Communauté Française, qui alloue 150.000 euros annuels (soit, pour faire une comparaison, 10.000 euros de moins que pour le Théatre 340). La Région bruxelloise alloue 5 postes d’employés plein temps ainsi que, ponctuellement, un budget « rayonnement international » pour certaines expositions (la rétrospective Luc Tuymans, par exemple). C’est le seul organisme public qui se soumet au contrôle des 3 tutelles publiques.

La rénovation du bâtiment dure presque 3 ans. Une friche abandonnée disparaît, ainsi que les problèmes qui en découlent. « De plus, pour cause de petit budget », explique Dirk Snauwaert, son directeur, « au lieu d’importer un grand architecte étranger, on a utilisé un bâtiment existant, témoin d’une architecture moderniste. Le bâtiment, le projet, la rénovation, l’équipe, les financements : tout est belgo-belge. »

Né en 1960, quadrilingue, mono-maniaque de l’art contemporain, Dirk Snauwaert a travaillé comme curateur pour l’art contemporain au palais des Beaux Arts de Bruxelles, puis à Munich et à Villeurbanne. Dirk Snauwaert est énervé. Il parle du marketing culturel qui régit l’art en Belgique : « On accumule un patrimoine, puis on le revend comme un produit. Il n’y a pas de contact vivant avec l’art en devenir. Tout est instrumentalisé en vue d’une présentation « commerciale » au public.  Au Wiels, nous essayons de créer un lieu qui soit au niveau d’une capitale européenne, un outil pour les artistes et un lieu de contact vers le public belge et international. »

Fameux défi pour ce centre d’art… gagné au niveau de la qualité des expositions et des activités pédagogiques. La structure de l’ancienne brasserie, conservée, aux espaces très ouverts, permet de faire beaucoup de choses. En plus des expositions et des activités pédagogiques, le lieu peut être loué pour des séminaires.

Programmation

Le Wiels emploie 12 personnes à plein temps. La programmation se fait à quatre voix :  Elena Philipovich pour le choix des expositions, Frederique Versaen pour le programme éducatif et la vice-direction. Devrim Bayar s’occupe des résidences et est commissaire de certaines expos, Sophie Rocca est la gestionnaire financière au quotidien. La programmation se soumet sans souci  à la ségrégation linguistique, présentant un artiste francophone puis un artiste flamand. « Une seule rétrospective d’un artiste belge par an, pour éviter tout chauvinisme et surtout, ouvrir le champ, globaliser, mondialiser. », explique Dirk Snauwaert.

Comment sélectionner les artistes ? « Le monde de l’art est devenu tellement large, dit encore Dirk Snauwaert, avec l’émergence des artistes asiatiques et moyen-orientaux, entre-autres, qu’il s’agit de cibler son attention sur une génération, une zone géographique ou un médium, pour arriver à bien voir et bien regarder. Si on ne cible pas, on ne voit rien. »

Le Wiels organise sept grandes expositions par an, ainsi que 9 résidences d’artistes, qui génèrent 5 à 6 présentations pas an. Il faut y ajouter 3 à 4 présentations suite à des projets de quartier. Plusieurs  postes de manutention et de gardiennage sont alloués à des gens du quartier, en collaboration avec le CPAS et Actiris. Il s’agit souvent de personnes en réinsertion. L’implantation géographique dans un quartier socio-économique difficile reste un défi quotidien. Il s’agit de créer du lien et du rayonnement largement, au niveau international, mais aussi directement dans le quartier, avec les gens qui y vivent. Les expos se développent selon deux axes, soit comme des mesures d’évaluation :  les rétrospectives Francis Alys, Luc Tuymans. Soit comme mesures d’introduction, par exemple avec l’artiste Charlotte Baudry qui présente actuellement son travail sur un étage.

Bilan financier

Le bilan financier du Wiels reste difficile. La rénovation du bâtiment a coûté très cher. Les subsides des Bâtiments et Sites, de l’Europe (via Urban II), et de l’Urbansime, ainsi qu’un emprunt, ont permis de financer 9 millions et demi d’euros. Il reste 5 milllions pas encore financés. Le C.A. du Wiels et Dirk Snauwaerts ont négocié pendant plus de deux années avec les Entreprises Générales Blaton-Valens, qui ont accordé 1M300 euros de réduction sur factures. Un geste de 156.000 euros est fait par les Architectes Art&Build, de 33.000 euros par le Maître d’Ouvrage JCX et de 300.000 euros par ING. Le solde à financer est de 3,236 M d’euros. Un plan d’apurement des dettes à court et long termes est présenté cette semaine par Dirk Snauwaert. La situation sera totalement apurée en 2037.

En cours



Actuellement, au premier étage du Wiels, Charlotte Beaudry réunit une trentaine d’œuvres peintes sous le titre « Get drunk ». Son travail figuratif interroge les réalités représentées. Par exemple, cette jeune fille dont on ne voit pas le visage, sur de grands formats, le corps toujours en mouvement. On y voit l’adolescente vulnérable et en rage, mal dégourdie dans son corps qui se cogne sur les bords de la toile. Une présence incertaine, en devenir, habite ces toiles.

Le projet Mademoiselle nineteen poursuit cette réflexion sur le portrait : dans ce film, 5 jeunes filles répondent aux questions qui ont déjà été posées dans le film Masculin-Féminin de Jean-Luc Godard en 1966. La similitude de leurs réponses est étonnante.

Plus loin, Charlotte Baudry peint des objets familiers comme des sacs à main en très grand sur de larges toiles. Les plis du cuir évoquent une énorme bouche ou un énorme sexe. Même chose avec les gros plans de slips d’hommes. Où comme un objet banal nous renvoie une étrangeté ou une signification nouvelle, lors de sa représentation à une taille incongrue. Un écart se crée aussi entre l’intime et le public. Cette ambivalence est présente dans toutes les toiles de l’artiste et provoque une tension contrebalancée par l’esprit de dérision qu’elle y apporte. Ainsi, son auto-portrait ne présente qu’une masse de cheveux qui lui cache le visage. Tout est matière à mettre à distance : la série de jeunes filles sans visage, les sacs… Le réel est absent ou fantasmé, la preuve par sa représentation.
Wiels
Bruxelles
www.wiels.org

Paru en 2011 dans L'Echo

Muriel de Crayencour

Fondatrice

Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.

Articles de la même catégorie