La vie hors du cube, au Centre culturel de Namur

Eric Mabille
30 mars 2016

Entre Chambre et Muse est une exposition collective qui rend un vibrant hommage à son commissaire Alain GéronneZ, plasticien et critique d’art récemment disparu, au travers des œuvres et des amitiés complices d’une vingtaine d’artistes. Une invitation à regarder autrement, proposée aux anciens Abattoirs de Bomel, le nouveau Centre culturel de la Ville de Namur.

Il est un lieu particulier, bâti avant les années 1940 et situé par-delà la gare, dans un petit quartier désuet presque timide. Au bout d’une rue, les 3000 m² des anciens abattoirs accueillent aujourd’hui le nouveau Centre culturel de Namur. Ouvert au public depuis 2015, ce bâtiment de briques claires allie sa silhouette d’antan à l’architecture presque minimale dessinée par le bureau d’architectes BAEB et les aménagements intérieurs du Collectif ROTOR ; un nouveau lieu à découvrir entre Sambre et Meuse.
Désireuse de pouvoir y valoriser l’art contemporain, Marylène Toussaint, sa directrice de l’action culturelle, rencontra Alain GéronneZ et lui proposa le commissariat d’une exposition. L’homme est artiste plasticien plutôt conceptuel, performeur, ancien professeur à l’ERG et critique d’art ayant collaboré pendant de nombreuses années au magazine d’art liégeois Fluxnews. Sensible à la photographie, aux mots et aux sons, ce promeneur infatigable parcourt villes et expositions, capturant le quotidien, immortalisant ses rencontres avec les œuvres et les artistes, traduisant en mots et partageant ce qu’il voit. C’est donc tout naturellement qu’il proposa d’associer à l’exposition les artistes qu’il avait défendus sur papier.

A son décès, fin 2015, ces mêmes artistes ont tous accepté de mener à terme ce dernier projet d’Alain GéronneZ, s’inspirant de ses notes, de ses articles, chaque artiste faisant le choix des œuvres qu’il exposerait. Plus qu’un hommage au critique qu’il fut, cette exposition nous livre un portrait sensible de l’homme et de l’ami. Une exposition où les œuvres d’art rencontrent les espaces de vie pour mieux s’y mêler et s’y confondre. Car c’est bien le déplacement qui préside au concept de l'exposition. On parcourt ateliers, résidences, salles de réunions et d’exposition, bureaux administratifs ; une visite arty qui devient une visite du bâtiment. Cherchez l’œuvre. Accrochée parfois hors champ, parfois hors des murs, toujours en contexte, dans ces espaces mouvants où se croisent ceux qui les occupent, l’œuvre se noie pour mieux briller et éclairer ce qui l’entoure. Un questionnement permanent de ce qui est art et de ce qui à priori ne le serait pas. A moins qu’on ne soit dupé à chaque instant. Sur base du principe un artiste, une œuvre, un article, un espace, ce sont au final 20 espaces qui accueillent ainsi 20 artistes, dont certaines interventions se sont parfois faites in situ.

Visite guidée


Et la visite commence fort. Mais où est l’expo ? Seule, dans une salle d’exposition désertée aux murs blancs, une photographie de l’artiste américaine Louise Lawler. Evocation de celle qui photographiait les œuvres chez les collectionneurs, loin du cube muséal. Cette proposition est la base de la démarche de GéronneZ, celle d’intégrer les œuvres dans tous les lieux de vie du centre culturel. Endormi, l’inconnu du train d’Anne Bossuroy dans sa boîte écrin de bois tout de blanc peint. Mais dort-il vraiment ? Le visiteur observe l’homme. L’homme aux paupières closes semble le regarder. Etat de sommeil ou de veille ? Plus loin, Marcel Berlanger entre flou et net, avec un œil caché ou les yeux ouverts ; ses Optotypes sur fond de losanges ou canvas aux couleurs mélangées. Là où le tableau devient le regardeur même. Et de croiser aussi en chemin les photographies à contre-temps de Florian Aimard Desplanques, le collage à quatre mains de Sylvie Eyberg et Valérie Mannaerts, tel le recto et le verso d’une même affiche.

Dans un atelier de sculpture, Juan d’Oultremont signe une installation livrée avec mode d’emploi. Un empilement de tabourets d’hôpital, un ensemble d’illustrations archétypales d’un atelier photo, sous verre et abandonnées dans une caisse. Une œuvre qui se décompose et se recompose au gré de l’utilisation du local. Au détour d’une autre pièce, deux petits monochromes de la plasticienne belge Marthe Wéry. Presque discrets, petits suppléments de vie en cet espace incongru où l'on se promène et se prend à tout regarder : l’architecture, le mobilier, les gens qui y sont et puis ceux qui y passent. Plus loin, c’est l’autre plus loin, et c’est vous qui le découvrirez. Le parcours se clôture avec Getting it together in the snow, une performance filmée d’Alain GéronneZ. L’artiste, dans une approche concentrique d’un arbre entouré de neige, y promène sur un traineau un vieux pick-up dont l’aiguille soumise aux aléas chaotiques du déplacement égrène la voix de Rodney Graham. On s’assied devant et on regarde encore.

Ce jeu de piste intérieur – avec ou sans plan – agit comme un bain révélateur. Le regard se fait différent. S’ouvre une perspective nouvelle, hors histoire de l’art, un moment de trouble, une prise de risque où l’œuvre s’expose dans un endroit qui la questionne. Ainsi activée, elle poursuit sa vie autrement et la sème autour d’elle. Les Abattoirs de Bomel nous livrent une exposition à l’accrochage décroché, décalé, déplacé, une approche périphérique comme pour mieux rencontrer les artistes. Ainsi peintures, sculptures, photos, installations, projections et performances activent nos sens et impriment leurs petits souffles de vie, participent à la vie. Et nous, nomades de chaque moment, nous nous plaisons à y ajouter la nôtre.

Entre Chambre et Muse
Centre Culturel de Namur
Abattoirs de Bomel
18 traverse des Muses 
5000 Namur
Jusqu’au 3 avril
http://centrecultureldenamur.be

 

Eric Mabille

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