Comment faire sans culture en ces temps de pandémie ? Alors que l'Art nous sauve de l'absurdité, chaque jour. Le gouvernement fédéral a harmonisé les mesures prises dans les différentes Régions, en décidant la fermeture de tous les musées et centres d'art jusqu'au 19 novembre. Quelques jours plus tard, il annonce la fermeture de tous les commerces non essentiels. Les galeries ne sont pas épargnées, au contraire des librairies - et nous nous réjouissons de ce dernier point.
Pourtant, ces lieux de monstration avaient été félicités pour la rigueur avec laquelle ils avaient appliqué les protocoles sanitaires : masque, distanciation, gel. Rares sont les musées et centres d'art dans lesquels les foules se pressent. Tous ne peuvent pas se targuer d'être Le Louvre. Et d'avoir un produit d'appel tel que La Joconde ! Alors pourquoi les fermer ? Nos politiciens savent-ils qu'on ne peut pas toucher les œuvres ? Où se trouvent les risques de contamination dans les grandes salles du Wiels ? Cette décision permet-elle de diminuer les mouvements des gens dans la ville ? Y compris des gardiens de musées ? Pourquoi renoncer à l'art ?
Quelle tristesse pour tous ces musées, toutes ces expositions montées avec passion, ces artistes qui ont travaillé pendant des mois - pensé, rêvé, fabriqué, produit, essayé, réessayé, tenté, rêvé encore chacune de leurs œuvres ; ces commissaires d'exposition qui ont affiné leur propos, réfléchi à ce qu'il y avait à raconter avec les œuvres sélectionnées, construit un cheminement dans l'espace de l'exposition, tracé et tissé des liens entre des pièces ; ces graphistes et responsables de la communication qui ont conçu une affiche, une campagne, rêvé à la visibilité et à la lisibilité de l'exposition à venir...
La situation est dramatique aussi pour les galeries. Comment faire vivre les expositions en cours en virtuel ? Qui veut encore, après un premier confinement, visiter une expo online ? On s'approche de la perversion, ici : regarder de l'art en ligne, sans confrontation directe avec la réalité matérielle et formelle de cette œuvre, sans pouvoir sentir sa force et sa puissance, même avec un œil très exercé.
Comment se projeter dans les mois qui viennent et construire les prochains shows ? Avec quels artistes ? Pourra-t-on faire venir les œuvres ? Les artistes pourront-ils être là à l'ouverture ? Les collectionneurs seront-ils au rendez-vous ? Les galeries installées peuvent bien évidemment continuer à vendre à leurs acheteurs fidèles. Pendant un temps. Et le plaisir du partage, de la médiation ? Montrer des choses, la beauté, la force, le trouble... comment continuer tout cela ? Et puis, comme pour tous les commerces non essentiels, comment tenir le coup financièrement ?
Au fil de toutes ces questions qui se déroulent comme un collier morbide, se poser encore la question de l'utilité de l'art. A quoi sert-il de se poser devant une peinture, une sculpture, un dessin ? Dans quoi nous baignons-nous en faisant cela ? Qu'est-ce qui rince nos yeux de la tristesse et du désespoir ? Du sens, une force qui irradie, de la joie, l'espoir d'une dimension qui nous dépasse, une transcendance ? L'Art apporte-t-il un supplément d'âme, de l'espoir ? Mais aussi, l'art serait-il un créateur de liens, un tisserand qui croise et noue des fils entre les humains ? Les œuvres seraient-elles des vecteurs de liens riches et sensés chargés de créer des communautés humaines autour d'elles ? Ainsi, l'art serait tout d'abord un rite, un acte sacré, religieux.
Mais encore, les œuvres pourraient-elles être les meilleures porteuses d'histoires ? Les femmes et les hommes ont-ils besoin d'histoires, pour échapper à la perspective du désastre et de la mort, pour bercer un instant leur âme dans un peu de douceur, de tendresse, de poésie ? Oui, nous avons besoin d'histoires sacrées. Oui, l'art nous sauve de l'absurdité.
Autorisons-nous encore une citation, pour clore cet article, de la philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle, dans La femme et le sacrifice : "L'œuvre est une terreur surmontée ; contre l'étrangeté du monde et avec lui, elle invente un langage pour traduire l'intraduisible, pour faire entendre l'innommable et tenter d'y inscrire une forme nouvelle."
Durant les prochaines semaines, nous publierons sur certaines expositions, même fermées, pour le plaisir de continuer à partager avec vous nos coups de cœur. En effet, ce magazine est né de l'envie de partager les choses vues et que nous avons aimées. Nous écrirons aussi plus régulièrement sur les beaux livres, ainsi que des articles de réflexion sur le sens de l'art. Nourrissons-nous de sens. Et d'amour.
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Fondatrice
Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.
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