Le blanc pour signifier l'absence

Elisabeth Martin
23 février 2018

Allez voir Absence. L’exposition de la Galerie ArtLoft Lee-Bauwens est construite comme un nuancier. Le blanc donne le ton d’un accrochage qui abrite abstractions, monochromes, textures et répétitions, reliefs et lumières d’une douzaine d’artistes. La présentation se concentre sur des œuvres fragiles choisies en fonction de leur caractère intangible, tout en vibration. Un choix plastique et une même parenté d’esprit relient doyens et jeunes talents.

Commençons par les Quatre figures blanches de Maurice Frydman (1928). Il a fait de l’épiderme son sujet d’étude pour raconter amour, haine, déchirures et cicatrices. La découverte de ce matériau extensible qu'est le plastique a dicté à sa trajectoire une nouvelle orientation. D’où cette impression de torsion, de tension, de stigmate vivant. On peut y lire un drame abstrait, peut-être plus significatif qu’une image figurative.

On retrouve avec plaisir Paola Pezzi (1963) que le couple d'esthètes Lee-Bauwens avait montrée en novembre dernier. Fille de l'Arte Povera, elle met en forme des matériaux ordinaires inventant un objet mi-peinture, mi-sculpture. L'idée de mouvement et de flux vital modèle toute sa création.

Mais toutes les interprétations ne sont-elles pas vaines devant l’émotion que suscite Temps premier (1975) d’Aurélie Nemours (1910-2005) ? Cette virtuose a su approcher avec tant de brio le vide essentiel et le rythme de l’Univers ! Elle orchestre une plage de peinture avec quatre carrés révélant les gradations du blanc et ses infimes tonalités qui adoucissent la rigueur géométrique. Le monochrome devient un polychrome dans une abstraction magnifiquement construite. Il en va de même avec le Parcours d'Ode Bertrand (1930) et ses carrés hypnotiques. Quelque chose de magique, de spirituel, contraint notre oeil à une perception lente. Esthétique et raffiné, le triptyque de l’Espagnol Javier Leon Perez (1977) joue du blanc pour ses reliefs en papier japonais. Trois œuvres sœurs constituent une merveilleuse unité de plis délicatement sculptés. Il conçoit la notion de temps comme une construction mentale.

Avec le photographe Jean-Claude Wouters (1958), le corps en cet état de présence et d'inexistence connaît une irréalité néanmoins imagée qui interroge sa finitude. A la manière d'un délicat mirage laiteux. A côté d'Olivier Christnat et de Daniel Pandini, on découvre quelques noms coréens : Moon-Pil Sim, Namhee Kwon, Nam Tchun-Mo et Yun Sungfeel. Voyage intérieur, métaphysique, réflexion philosophique aussi, l'exposition est riche d'une énergie invisible.

 

Absence
Art'Loft Galerie Lee-Bauwens
36 rue du Charme
1190 Bruxelles
Jusqu'au 4 mars
Du mardi au samedi de 14 h à 18 h
www.artloft.eu

 

Elisabeth Martin

Rédactrice

Traductrice puis pédagogue de formation, depuis toujours sensible à ce vaste continent qu’est l’art. Elle poursuit des études de sociologie et d’histoire de l’art avant de relever le défi de dire avec des mots ce que les artistes disent sans mots. Une tâche d’interprète en somme entre deux langages distincts. Partager le frisson artistique et transmettre l’expérience esthétique et cet autre rapport au monde avec clarté au lecteur, c’est une chance. Une sorte de mission dont elle nourrit ses textes.