On a rêvé sur la Lune

Gilles Bechet
18 janvier 2022

Au Botanique, Mira Sanders et Cédric Noël ont développé une exposition concept où se mêlent dans une fiction rêveuse les conséquences de l'explosion d'Hiroshima, la culture manga et le minimalisme de l'architecture contemporaine au Japon.


Voici deux artistes qui voyagent, récoltent des images, des impressions, des traces qui réapparaissent dans leurs œuvres. En 2018, Mira Sanders et Cédric Noël ont effectué un voyage au Japon. Ce fut un choc. Les artistes ont beaucoup dessiné, enregistré, récolté des traces. Toute cette matière, digérée et transformée, apparaît aujourd'hui au Botanique dans une exposition concept en huit étapes autour d'une fiction rêveuse inspirée par les conséquences de l'explosion d'Hiroshima. La pièce centrale est un film d'animation qui évoque le voyage d'un femme astronaute japonaise au centre de la Lune. She, car elle n'est jamais identifiée autrement que par ce pronom féminin, partie en mission pour se confronter au Mukade, un mille-pattes géant qui a jeté son emprise sur les âmes des victimes de l'explosion. Bien des choses dans cette exposition renvoient de manière indirecte à ce moment de basculement qui, durablement, redéfinit la société japonaise contemporaine, à commencer par la scénographie, qui s'inspire du plan de Parc du Mémorial de la Paix à Hiroshima.


Puzzle incomplet

Minimalistes et hétéroclites, les différents éléments nourris des traces du voyage des deux artistes au Japon sont comme les pièces d'un puzzle incomplet d'un récit qui reste à raconter. Une animation avec des dessins à la plume de non-lieux anonymes dessine une sorte d'architecture spatiale et souterraine dans laquelle évolue l'héroïne. D'autres grands dessins en couleurs où les éléments d'architecture virent à l'abstraction géométrique. Des sons collectés sur place évoquent le trajet de She de chez elle jusqu'à la base spatiale. Un vertigineux film d'animation nous plonge au cœur de la Lune, où la poursuite du Mukade est rythmée par le dialogue plein d'ambiguïtés et de retenue entre l'astronaute et le commandant Ikeda. Ce texte fait l'objet d'un joli petit livre, bilingue, offert au visiteurs et posé sur un meuble sculpture inspiré de l'architecture du mémorial. Le costume, entre combinaison spatiale et Kimono, qui pend dans les airs est celui que revêtira She à l'issue de sa mission lunaire. Un mille-pattes, ça ressemble à quoi, au fond ? Un spécimen en bocal nous en montre déjà une belle pièce sans devoir se rendre sur la Lune autrement qu'en imagination.


Jeu dans l'espace public

Avec The Phenomenal Park, montré à la Galerie, Mira Sanders et Cédric Noël présentent un autre projet mené depuis 2018 avec des étudiants en architecture. Ceux-ci ont été invités à imaginer des espaces de jeu composés à partir de matériaux trouvés dans l'espace public. Le genre de choses auxquelles on ne prête pas la moindre attention ni valeur : capsules, canettes, morceaux de bois ou de verre, vieux ressorts, tuyaux de plomberie, débris de brique et de béton sont assemblés dans des installations qui jouent du puzzle et du déséquilibre entre les formes, les couleurs et les matières. On est ici proche de l'art brut pour poser la question du jeu dans l'espace public, qui est pour les deux artistes fondamentale. Aujourd'hui, la tendance est à des espaces hypersécurisés et modulables, dont les formes standardisées et formatées laissent finalement peu de place à l'imagination. A l'entrée, les artistes invitent le visiteur à ne pas toucher les installations et à ne pas prendre de photos. Tout au bénéfice de l'imagination. Elle est la plus belle des plaines de jeu.

 

A Voyage into the Moon
The Phenomenal Park
Mira Sanders & Cedric Noël
Le Botanique
236 rue Royale
1210 Bruxelles
Jusqu'au 6 février 
Du mercredi au dimanche de 12h à 20h
www.botanique.be

Live at the museum : Concerts performance de Matthieu Serruys (21.01), Gavin Vanaelst & Jente Waerzeggers (28.01), Jente Waerzeggers (04.02)


 

Gilles Bechet

Rédacteur en chef

Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT

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