Avis aux bibliophiles, amoureux des livres d’artistes et aficionados du livre précieux… Deux remarquables expositions sont à voir à la Bibliotheca Wittockiana et au musée de Mariemont.
Koopman le passionné
La collection Koopman sort des réserves de Koninklijke Bibliotheek de La Haye : on peut admirer 70 livres d’artistes des années 30 à aujourd’hui, à la Wittockiana, et c’est à ne pas manquer.
Louis Koopman, industriel hollandais, se fiance en 1931 avec une Belge, Anny Antoine. Ensemble, ils partagent une passion pour le livre français et collectionnent de belles éditions d’auteurs comme Colette, Cocteau, Valéry, Cendrars. En 1933, Anny décède dans un accident de tram. Louis décide de rassembler leurs deux collections et de continuer cette passion, en souvenir de sa fiancée. Dès lors, il achète tous les beaux ouvrages qui sortent de presse et se met personnellement en contact avec les auteurs et les artistes qu’il aime. Sa collection ne cessera d’augmenter, de 1500 ouvrages en 1935, elle est passée à 5000 au moment de son décès en 1968. Cette remarquable collection est donnée à de Koninklijke Bibliotheek de La Haye. Louis Koopman prévoit un fonds pour entretenir et augmenter celle-ci. Depuis, la Koninklijke Bibliotheek a acquis de nombreuses éditions de luxe et des ouvrages bibliophiliques, et, ces dernières décennies, surtout des livres d’artistes et de typographie expérimentale.
Dans les années 30, le livre d’artiste est appelé livre de peintre. A Paris, ce sont les galeristes : Vollard, Tétriade, Maeght qui en sont les initiateurs. Faisant travailler peintres et écrivains, ils produisent des ouvrages en petite série, dans lesquels images et texte se complètent… Picasso, Léger, Braque, Matisse ou Miro se prêtent à l’exercice. Parfois, un peintre, comme Léger, se prend à écrire. Ou un écrivain, comme Ionesco, se pique d’illustrer son propre texte.
Quels étonnants ouvrages dont le papier vibre, autant sous les mots qu’ils supportent qu’avec les illustrations qui l’habillent ! Chaque livre est un trésor, trésor enfermé sous sa couverture, qu’il faut ouvrir pour en découvrir toutes les beautés. On peut admirer ici une page sélectionnée avec l’amour du passionné par le scénographe de l’exposition.
Un bouleversant « Chant des morts », de Pierre Reverdy est illustré de 125 lithographies de Picasso, qui embrassent et embrasent réellement le texte. Une grande partie des pages est montrée en série dans les vitrines du premier étage. C’est sublime, puissant : les mots de Reverdy et les traits de pinceau de Picasso chantent une mélodie pleine de feu.
Là, Fernand Léger illustre son propre texte, « Cirque », de 80 lithographies, joyeuses et vives. Ici, Calder bouscule la technique de la gravure en utilisant les formes coupées dans le métal (qu’on retrouve dans ses mobiles) : recouvertes de couleur, elles sont posées librement sur la plaque à graver et passée dans la presse. Le papier est ainsi mis en couleur mais aussi en relief, dans un très bel effet tridimensionnel, plein de force. Sonia Delaunay réalise des pochoirs à la gouache, d’une puissance joyeuse, pour « Le Fruit Permis », de Tristan Tzara…
Ne pas rater les quelques exemplaires de livres de photos, dont « l’Ange Heurtebise » de Cocteau, mis en images par Man Ray ; les très beaux nus de Laure Albin-Guillot ; « Paris la nuit », de Paul Morand, illustré en 1932 par Brassaï, photographe qui était considéré alors comme « l’œil de Paris ». Dans la première salle, quelques très beaux exemplaires plus contemporains de livres d’artistes. Ainsi, « Through the looking glass » de Lewis Caroll, imprimé à l’envers sur papier teinté rouge sang, par l’artiste Didier Mutel. « Mon alias, Mona Lisa », un livre qui devient objet, avec ses collages de boutons et de cartes à jouer. Et le petit théatre de Nathalie Grenier et Martine Rassineux, qui ont transformé le livre en objet à multiples usages.
Voix et visions
Bibliotheca Wittockiana
Bruxelles
Micheline de Bellefroid, relieuse
Passionnante découverte, en profondeur, du travail de Micheline de Bellefroid (1927-2008), sous forme de rétrospective... Figure de la reliure belge de la seconde moitié du 20e s, arrivée très jeune à la reliure et élève à La Cambre, Micheline de Bellefroid saisit très vite la nécessité de maîtriser au plus haut degré les contraintes techniques du métier, pour faire du livre un objet de perfection. Résolument moderniste, elle choisit d'ancrer ses reliures dans les mouvements de l'art contemporain. Elle voue une grande admiration à des peintres abstraits américains tels que Jackson Pollock et produit de remarquables décors abstraits. Elle réalise ainsi une oeuvre personnelle, qui joint à la rigueur du style et à l'intelligence de la conception un don extrêmement riche d'invention dans la recherche créatrice de décors. Utilisant le papier brillant Kromekote, elle y réalise de véritables tableaux, qui serviront comme pages de garde des ouvrages qu’elle relie. Micheline de Bellefroid était à la fois artiste, enseignante, bibliophile et historienne de la reliure. Elle a dirigé pendant presque trente ans l'atelier de reliure de La Cambre à Bruxelles, auquel elle confère une reconnaissance internationale. Tout comme son maître Vladimir Tchékéroul, elle marque de son empreinte toute une génération de jeunes relieurs belges et étrangers. Son travail est présenté chronologiquement, autour de la réserve précieuse du musée. On découvre l’évolution de son style, de sublimes reliures en cuir, mais aussi des maquettes, dessins préparatoires aux motifs décoratifs, photos et publications… pour finir par ses outils et carnets de notes.
Micheline de Bellefroid
Musée royal de Mariemont
www.musee-mariemont.be
Paru en 2011 dans L'Echo