En 1964, poussant pour la première fois la porte de l'Institut d'Anatomie du parc Léopold à Bruxelles, un étudiant australien préparant une thèse sur les sciences de l'information à l'Université de Chicago, découvre un patrimoine unique et oublié, et la vie d'un homme, Paul Otlet, qu'il étudiera toute sa vie. Boyd Rayward fut le premier à redécouvrir le Mundaneum, 20 ans après le décès de ses fondateurs.
Sauvé de l'oubli, installé depuis 1993 dans un ancien grand magasin à deux pas de la Grand-Place, le
Mundaneum – patrimoine d'archives de la Fédération Wallonie-Bruxelles au caractère unique – a rouvert ses portes en juin 2015, transformé par deux années de travaux. La nouvelle scénographie a été confiée à deux grands rêveurs de tous les possibles : François Schuiten et Benoît Peeters. Ils ont installé une fresque au plafond et un immense globe terrestre au centre de l'espace. Sur les côtés, les tiroirs en bois originaux, de nombreuses vidéos et un parcours interactif passionnant.
Genèse d'un projet fou
A la fin du XIX
e siècle, le Mundaneum est créé à Bruxelles à l'initiative de
Paul Otlet (1868-1944), pionnier des sciences de l'information modernes et d'
Henri La Fontaine (1854-1943), Prix Nobel de la Paix en 1913. Le projet de ces deux humanistes et idéalistes est de rassembler et indexer l'ensemble des connaissances du monde. Otlet et La Fontaine sont tous les deux juristes, dans le cabinet de l'avocat bruxellois Edmond Picard. Ils ont la même passion pour la bibliographie. Leur projet est de référencer tous les livres publiés ! En cette fin du XIX
e siècle, l'économie est florissante, mais des réflexions sur les sciences sociales et sociologiques sont entamées. Réflexions hautement politiques, puisqu'il s'agit de remettre en cause la place de l'ouvrier, de l'entrepreneur ou du patron.
De 1895 à 1934, 18 millions de fiches vont être rédigées et installées dans 15 000 tiroirs ! C'est l'époque des expositions universelles, qui fascinent le public, comme à Paris en 1900 et Bruxelles en 1910. Le rêve plein d'idéal d'Otlet et La Fontaine se poursuit et s'élargit : le projet d'une cité mondiale des idées commence à voir le jour. Il s'agit, avec cette cité, dont les plans et maquettes furent dressés par Le Corbusier de «
mettre des pierres autour des idées », dira Otlet. Le projet est abandonné à l'aube de la guerre 1914-1918.
Ces millions de fiches furent la concrétisation de la mise en place de supra-réseaux qui dépassaient les clivages habituels et classiques de la connaissance. La méthode de classification de ces fiches, appelée
classification décimale universelle, continue à être utilisée aujourd'hui dans les bibliothèques et archives. Cette méthode est aussi l'ancêtre du moteur de recherche Google.eu. Le Mundaneum fut appelé le
Google de papier par
Le Monde dans ses pages en 2014.
«
Le Mundaneum me rappelle qu'il n'y a rien de nouveau – il s'agit toujours de redécouverte faite autrement, avec de nouvelles technologies et de nouvelles capacités. Le Mundanuem, le Memex et maintenant l'Internet et le World Wide Web en sont seulement la dernière manifestation. Je suis impatient de découvrir la suite », dira en 2013, à Mons, l'Américain Vinton Cerf,
père de l'Internet et coïnventeur du protocole TCP/IP. Au fil de l'accrochage, on découvre entre autres des dessins d'Otlet datant de 1930. Il y croque les prémices de la vidéoconférence, de la lecture sur écran ou des cours et conférences à distance !
Le Mundanueum fut une entreprise privée entièrement financée par ses initiateurs. Ce projet ambitieux devait collaborer au développement de la paix dans le monde. Il devint, au début du XX
e siècle, un centre de documentation à caractère universel. Ses collections, composées de milliers de livres, journaux, petits documents, affiches, plaques de verre, cartes postales et fiches bibliographiques ont été constituées et hébergées dans différents lieux bruxellois, dont le Palais du Cinquantenaire, dans le parc du même nom. En 1934, on en expulse le Mundaneum pour installer une foire du caoutchouc. Les archives sont alors stockées dans différents endroits, au parc Léopold ou sous la station Rogier, avant d'être redécouvertes en 1964. Elles appartiennent aujourd'hui à la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Des réserves ultra-modernes
Aujourd'hui, le bâtiment montois abrite plus de 6 km courant d'archives, dans des réserves installées dans les sous-sols. Ainsi qu'une cellule de numérisation professionnelle, une salle de lecture adjacente aux réserves, un espace climatisé dédié à la conservation des plaques de verre. Les 45 000 négatifs sur verre de la Fondation Norbert Ghisoland ont rejoint les collections. Mais aussi, un espace éducatif, un espace pour conférences ainsi qu'un accueil et des bureaux remis à neuf. Mons a décidément des choses à apprendre à Bruxelles quant à la qualité de ses réserves. Nous en
parlions déjà il y a quelques mois.
Cartes des connaissances
L'exposition temporaire,
Mapping Knowledge, présentée jusqu'en mai, donne à voir un panorama des moyens graphiques destinés à transmettre l'information. Moyens graphiques dont se sont emparés plusieurs artistes contemporains. Une ligne du temps montre que plus on avance, plus les documents de transmission d'informations (cartes géographies, etc...) deviennent complexes. Au rayon art contemporain, pointons les cartes de Chris Harrison qui présente la densité des connections internet dans le monde. Et Aleksandar Macasev, qui répertorie son humeur du jour. Grilles, réseaux, listes, organigrammes, répertoires sont les formes schématisées d'ensembles d'informations de plus en plus complexes. Nous en arrivons au
Big data, la somme des informations transmises entre les gens via internet. Un magma immense, très difficile à mettre en forme, à structurer, cauchemar des bibliographes modernes. Car une information non classée est inutilisable. On est loin des tiroirs en bois vernis contenant des fiches de papier !
Le Mundaneum
76 rue de Nimy
7000 Mons
Du mardi au vendredi de 13h à 17h, we et jours fériés, de 11h à 18h
www.mundaneum.be
Mapping Knowledge
Jusqu'au 29 mai 2016