En trente ans, le Centre de la Gravure et de l’Image imprimée a rassemblé, année après année, une impressionnante collection d’images produites par plus de 1500 artistes de la deuxième moitié du 20e siècle à nos jours. Avec Bientôt déjà hier, et en guise d’au revoir, sa directrice Catherine de Braekeleer propose une sélection d’œuvres qui traduisent, par une série ou une pièce unique, l’écoulement du temps.
Le passage du temps, un beau thème pour cette pêche aux trésors dans les copieuses collections du Centre de la Gravure et de l’Image imprimée de La Louvière. Les résonances sont multiples, dans le processus même de la gravure qui se révèle au gré d’étapes successives, et puis aussi pour saluer l’imposant bilan de Catherine de Braekeleer qui aurait dû signer avec Bientôt déjà hier sa dernière exposition, mais l’infatigable défricheuse de talents n’a pu s’y résoudre et elle nous en promet encore deux autres par la suite.
Gravure, estampe et sérigraphie sont des techniques qui se prêtent naturellement à la déclinaison en séries et en séquences comme autant de traces de l’écoulement du temps. L’acquisition par le centre de la série de 50 autoportraits de Roman Opałka a suscité le déclic pour la thématique. Pendant plus de 50 ans, l’artiste franco-polonais s’est photographié en suivant le même processus, même cadrage, même chemise blanche col ouvert. Le temps dans toute sa nudité et son humanité. Comment mesurer le temps sinon par les traces qu’il laisse par le feu, l’érosion ou par les carapaces chitineuses qu’oublient les insectes après leur mue. José Maria Sicilia crée une œuvre poétique sur les traces d’un scarabée. Le tout jeune Kevin Britte a réalisé d’intrigantes compositions en laissant au flux de rivières le soin de s’attaquer au vernis qui couvre ses plaques de cuivre. Une seconde, c’est un claquement de doigts et une éternité pour Christiane Baumgartner, qui a figé dans 25 gravures sur bois le paysage décharné capté derrière une vitre de voiture pendant une seconde. Dans une superbe série, Christian Carez accompagne la fin de vie d’une plante de calathéa, captant les changements de mouvement, de couleur, de matière, et presque de nature, des feuilles qui finissent par s’affaisser comme les ailes d’une créature plongée dans un sommeil sans retour.
A l’étage, c’est le temps dans ses mouvements plus intimes qui s’expose. De Kikie Crêvecoeur, qui documente son quotidien dans de ludiques gravures sur gommes, à Anne De Gelas, qui dévoile par le texte et l’image les frémissement de son intimité sous le regard de bienveillants fantômes. Le passage du temps s’inscrit aussi dans le paysage et le regard qu’on lui porte. Lors d’un voyage en Inde, Michel François a extrait des ready-made sculpturaux du chaos urbain qu’il a traversé. Grand voyageur, Balthasar Burkhard a parcouru le monde pour en ramener de monumentales toiles photographiques. Il a réalisé sa toute dernière série d’héliogravures chez lui, alors qu’il ne quittait pratiquement plus sa chambre. Ses natures mortes de fleurs ramenées du marché ou du parc public devant chez lui défient leur petit format par leur infinie profondeur. Le sobre accrochage crée de subtils échos entre les différentes œuvres et est ponctué d’une dizaine de pièces de Tetsuya Noda. Explorateur contemplatif du quotidien, l’artiste japonais le transpose dans un journal en images d’une troublante douceur qui mêlent photographie, dessin, sérigraphie et gravure sur bois. Un cendrier qui déborde, des fruits du marché, une étagère pleine d’objets banals ou de candides portraits de sa fille enfant, acquièrent par son traitement pictural la densité d’un temps suspendu. Un temps qui ne reviendra pas mais qui reste archivé pour toujours.
Bientôt déjà hier
Métamorphoses et écoulement du temps
Centre de la Gravure et de l’Image imprimée
10 rue des Amours
7100 La Louvière
Jusqu’au 8 septembre
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
www.centredelagravure.be
Christian Carez, Calatheas #12, 2014, (c) Christian Carez / Centre de la Gravure et de l’Image imprimée
Rédacteur en chef
Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT
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