Le goût de l'ombre

Elisabeth Martin
22 février 2020

Il vous reste une semaine pour découvrir Autres Noirs, l’exposition d’Art’Loft Lee-Bauwens Gallery. Elle croise le regard d’une douzaine de plasticiens, doyens et jeunes talents qui ont choisi le noir pour absorber ou réfléchir la lumière. On est particulièrement touché par ces palettes nocturnes allant de noirs profonds presque abyssaux à des gris secrets moins contrastés qui s’expriment dans la réserve. Une vraie conquête sur l’inconnu et sa part de mystère. 

Vertigineux, aveugle ou discret, le noir est bien plus qu’une absence de lumière. Ici, sa valeur esthétique donne corps à de multiples interprétations, matières et techniques. Loin d'être inerte, la gamme des encres devient un élément de vie dans sa portée lumineuse, sa transparence ou la chaleur qui s'approprie certains matériaux. A l’entrée de la galerie, Benjamin Ottoz retient l’attention. Il utilise le papier comme un support, qu’il sculpte et chiffonne dans une confrontation physique. Il pulvérise ensuite la peinture sur ses étendues froissées avant de mettre la feuille sous presse pour lui rendre sa forme initiale. Les noirs et les gris figent le matériau dans une superbe substance organique. L’artiste espagnol Javier Leon Perez habite l’espace de la cage d’escalier d’une monumentale liane faite d’un beau détournement de papier japonais torsadé.

A l’étage, retenons l’artiste coréen Jim Woo Lee et ses noirs de fumée, des sensations minérales issues de superpositions de papier traditionnel hanji et de charbon de bois. A côté, le travail d’Aurélie Nemours à la craie noire est une merveille de subtilité et de nuances.

Le grand Takesada Matsutani fait également partie des invités. Il donne vie à son travail grâce à de la colle qu’il fait gonfler ou couler sur la surface du tableau, qui vibre de l’énergie révélée par la matière. Wave est une magnifique toile sombre balafrée d’une cicatrice. L’énergie et le mouvement sont le moteur de Paola Pezzi qui montre une ondoyante Onda Nera en cuir synthétique. L'implication entre le matériau et la forme créée est ici très forte. Tensions et torsions de film plastique jouent de la lumière et de ses reflets chez Maurice Frydman. Kim Hyun-Sik, lui, cultive l’entre-deux et alterne l’espace palpable de la résine et d’infimes sillons veinant la surface de ses œuvres où l’œil se perd.

Certains ont choisi le combat silencieux que se livrent la clarté et les ténèbres, ayant recours au noir comme pour mieux exalter et faire jaillir la lumière du blanc. C’est le cas de Moon-Pil Shin ou bien d’Ode Bertrand avec ses angles noirs et blancs. Pour finir, une mention spéciale pour l'artiste français Vincent Gagliardi et la poésie de La nuit du jour et L'image de l’ombre, une œuvre sculpturale, comme une cascade de balatum dont la matière brute contraste avec l'idée. Il signe également un beau coffret contenant quatre estampes de sa main et des textes d’Emily Dickinson. Œuvre plastique et œuvre écrite appellent un regard proche.

Ne manquez pas de faire une visite à la galerie Lee-Bauwens.

Art'Loft - Lee-Bauwens Gallery
36 rue du Charme
1190 Bruxelles
Jusqu’au 29 février
Du mardi au samedi de 14h à 18h
www.artloft.eu

Elisabeth Martin

Rédactrice

Traductrice puis pédagogue de formation, depuis toujours sensible à ce vaste continent qu’est l’art. Elle poursuit des études de sociologie et d’histoire de l’art avant de relever le défi de dire avec des mots ce que les artistes disent sans mots. Une tâche d’interprète en somme entre deux langages distincts. Partager le frisson artistique et transmettre l’expérience esthétique et cet autre rapport au monde avec clarté au lecteur, c’est une chance. Une sorte de mission dont elle nourrit ses textes.