Le Salon d’Art, qui a montré l’artiste en 2003, 2006 et 2008, présente une saisissante exposition de dessins et de peintures de Jean Rustin, un créateur qui a exploré le corps humain en toute sa déréliction et son malaise.
La fragilité de corps dévorés par le blanc de la folie et de l’angoisse, le crayon, le pinceau qui se portent jusqu’au point où les traits du visage, la chair se brouillent, s’effacent, l’immense solitude d’êtres enfermés dans un espace psychique coupé du dehors, Jean Rustin les a figurés, portés au visible en taillant la représentation jusqu’au plus nu. Le monde est un taudis, un cloaque, un asile dont le peintre explore les angles durs, accueillant les grands emmurés sur son radeau de silence. Sans concession, creusant une nudité brutalisée, distordue qui nous intime de la regarder en face, son œuvre défigure la figuration et touche ce qui se tient sous la séduction des apparences, sous la grammaire officielle du vivre : le point de réel, tranchant comme une carotide coupée, la sexualité dure, sans artifices, de ceux et celles qui ont tout perdu. La vérité de la condition humaine, c’est son inhumanité.
Dès le début des années 1970, Jean Rustin (1928-2013) tourne le dos à l’abstraction et s’engage dans l’exploration du corps blessé, halluciné, montrant la violence qu’endurent des êtres vulnérables, des adultes-enfants. Narines dilatées, yeux pris dans l’immobilité, mains qui se cachent le visage ou qui se touchent le sexe, la bouche afin de s’assurer que la vie continue à circuler, doigts plantés dans les orifices, se tripoter, lécher pour ne pas sombrer, exhiber son fessier, tête ovale, crâne allongé sous l’effroi, souillure, défaillance du discours organisé... La vérité du visage, c’est l’anus, c’est le vide, nous disent ces personnages, suicidés de la société.
Ses compositions campent les formes au moment où elles luttent contre leur dislocation irrattrapable. Il n’y a pas d’ailleurs aux batailles qui grondent dans des esprits que la société a parqués dans les murs de la clinique, là où Jean Rustin les arrache à leur destin d’enfermés vivants. Faisant sauter les verrous de l’idéalisme, il rend hommage aux créatures de l’ombre dont il dessine et peint le corps en proie à l’obscène, un corps excrémentiel, traumatisé, dont la société a honte. On osera le rapprochement entre ces peaux portant les stigmates de la souffrance, de la chute, de l’affaissement et le corps du Christ. Jean Rustin recueille ce que la société ne veut pas voir, le négatif tragique de la comédie humaine, les forces schizophréniques qui ravagent les formes apolliniennes. Le langage qu’il nous donne à percevoir passe par le seul corps. L’organisme, le pénis, la vulve, les mains hurlent là où les lèvres demeurent scellées dans le silence et la certitude de l’indicible.
Jean Rustin
Le blanc du silence
peintures – dessins
Le Salon d’Art
81 rue Hôtel des Monnaies
1050 Bruxelles
Jusqu'au 18 décembre
Du mardi au vendredi de 14h à 18h30
Samedi de 9h30 à 12h et de 14h à 18h
www.lesalondart.be
Présentation et signature du livre Rustin, La peinture à nu, de Roger Pierre Turine, le jeudi 25 novembre de 18h à 20h30
Journaliste
Véronique Bergen est philosophe, romancière et poète. Docteure en Philosophie de l’Université de Paris 8, auteure d’essais philosophiques, dans le champ de l’esthétique, de romans, de recueils de poèmes, de nombreuses monographies sur des plasticiens. Membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, elle collabore à diverses revues, notamment des revues d’art.
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