Libre comme Liliane Vertessen

Muriel de Crayencour
23 mai 2018

Belle rencontre que celle de l'œuvre de Liliane Vertessen au Musée de la Photographie de Charleroi. Cette artiste underground coud ses vêtements depuis l'âge de 13 ans, fait de la musique et se prend en photo dans des tenues étonnantes depuis les années 1960.

Poses et tenus suggestives, rouge et noir, néon affichant un mot en grand : sex, love, art, pop. Les photographies de Liliane Vertessen claquent aux cimaises du Musée de la Photographie. On y voit une femme soigneusement mise en scène, dont le regard transperce la photo et regarde sans aucune timidité ou honte le spectateur que nous sommes. Liliane Vertessen, sans le savoir, est montée toute jeune dans le train du mouvement artistique féministe des années 1970. Ces femmes artistes utilisent leur corps comme premier matériau. Nous avions pu voir en 2014, à Bozar, lors de la Biennale de la Photographie, un ensemble remarquable d'artistes de cette période, qui parlent d'identité au travers de mises et scène et photographies de leur corps.

Mais inscrire Liliane Vertessen dans ce mouvement féministe ne va pas de soi. Elle a déployé pendant des années son propre univers sans aucune conscience de faire quelque chose d'artistique. C'était avant tout une révolte et une manière d'exprimer son énergie. "Je n'ai jamais vraiment décidé de devenir artiste. Je ne me suis pas dit : je veux être artiste. Il faut le voir dans le contexte de l'époque. J'ai été élevée d'une façon assez sévère. (...) C'était surtout ma grand-mère maternelle qui me mettait au travail. Elle avait un bon cœur mais elle était très catholique. (...) on attendait de moi que je fasse la soupe pour 3 jours et que je cultive le potager. En plus je tricotais des pulls pour toute la famille et je cousais mes propres vêtements. Mes oncles me répétaient que je ferais une bonne ménagère et une parfaite épouse. Quand j'entendais cela, je bouillonnais," explique-t-elle en entretien avec Christine Vuegen dans le catalogue de l'exposition publié par le musée.

D'abord musicienne, elle rencontre son compagnon à la foire de Bourg-Léopold. Il vient d'une famille d'artistes et ne voit aucun problème aux photos que Liliane fait. Ils partent à Paris puis à New-York présenter leurs performances musicales de free-jazz.

Dès la fin des années 1960, Liliane prend des photos d'elle-même qu'elle met soigneusement en scène. Elle y dresse un portrait intime d'elle-même. "Petite, je ressentais beaucoup le besoin d'être libre. Quand tu es grande tu fais ce que tu veux. Cette énergie et ces émotions, je les montre dans mes photos," nous expliquait-elle à l'ouverture de l'exposition.

L'artiste expose pour la première fois en solo en 1975 dans une petite salle au sous-sol du bureau de police de Lommel. Elle fait elle-même les affiches qu'elle place dans les pharmacies et les magasins. "Evidemment, il y avait des femmes qui les arrachaient immédiatement."  Eric Antonis, directeur du centre culturel de Turnhout vient voir l'exposition et lui propose d'exposer au Warande, en 1981. Elle présente des photos d'elle étendue sur un canapé, vêtue de ceintures en cuir. "Il y eut des protestations parce que des enfants passaient dans le coin et que le ministre allait venir. L'expo fut démontée et descendue à la cave. Un journaliste du quotidien De Morgen publie un long article sur le sujet  et les responsables du Beursschouwburg à Bruxelles m'ont proposé une expo," explique l'artiste. Petite et fluette, cachée sous une casquette et des grandes lunettes noires, Vertessen vous explique ceci avec une grâce et une modestie tranquille. Elle n'a jamais eu peur. Elle s'est toujours sentie l'égale des hommes. Et pleine d'énergie. C'est cette énergie qui saute aux yeux. Le corps dénudé, les poses sexys n'effraient plus les visiteurs d'aujourd'hui. On y voit alors enfin ce qu'elle a voulu montrer : la puissance de la vie qu'elle ressent profondément, qui coule dans ses veines, qui le fait vibrer et créer. A voir sans tarder.

 

Liliane Vertessen
A Love Supreme
Musée de la Photographie
11 avenue Pastur
6032 Charleroi
Jusqu'au 16 septembre
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
www.museephoto.be

 

Muriel de Crayencour

Fondatrice

Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.

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