Espace 251 Nord est un centre d’art contemporain liégeois installé depuis plus de 30 ans sur une ancienne friche industrielle, exposant des artistes belges et internationaux et dont le rayonnement a permis à ce quartier de Liège de se transformer en profondeur.
Laurent Jacob sort tout juste de La Cambre quand il s'installe avec d’autres artistes en 1983 dans ce bâtiment administratif d'un ancien charbonnage, sur une friche industrielle, dans le quartier nord de Liège. Pratique alors novatrice. Johan Muyle, Didier Beaufort et d’autres artistes de la région sont présents. Le terrain est envahi de carcasses de voitures de la police judiciaire. Le lieu est dans son jus, les artistes y installent leurs ateliers et y organisent des expositions. Plus de 30 ans après, Laurent Jacob est toujours là ! Il est passé de statut de résident précaire à figure incontournable de la culture, en Belgique et à l'étranger. Il a organisé de très nombreuses expositions tant à Liège qu’à Bruxelles, en France, à Venise. Il se décrit comme artiste-réalisateur. Les expositions qu'il monte sont alors sa forme d'art. «
Artiste-réalisateur ce n'est pas la même chose que curateur. Construire des expositions, c'est une pratique artistique à part entière un peu bâtarde, j’en suis bien conscient. Il n'y a pas d'enjeu de carrière. Ca me passionne, c'est tout », explique Laurent Jacob.
Aujourd'hui, l'Espace 251 Nord est entouré d’un bâtiment accueillant des résidences d'artistes, d'une ancienne brasserie avec des lieux d'expositions dont un étage est pris en charge par Smart. Sans oublier La Comète, ancien cinéma de quartier et précédemment bistrot et lieu de perdition dès le XIX
e siècle. Sous la très belle charpente, dans ce vaste espace, fut entre autres présenté un
Nuage d'Ann Veronica Janssens et une exposition de peinture de Marcel Berlanger.
Lorsque Ecolo arrive à la maison communale et à l'échevinat de l'urbanisme, en 1983, les artistes trouvent des interlocuteurs de choix. Le quartier devient une zone qui entre dans un processus d'assainissement. «
Le fait d'occuper ces friches industrielles, avec des ateliers et des grandes maisons communautaires, a permis que la zone ne soit pas rasée avec cette idée absurde, héritée des année 1960 et du tout pour la voiture, de construire là une autoroute d'entrée dans la ville », explique Jacob.
Parcours d’expositions
Laurent Jacob se lance dans l’organisation de multiples expositions. De 1993 à 1995, dans les anciens établissements Old England au Mont des Arts (aujourd'hui Musée des Instruments de Musique), il présente trois expositions sur trois collections, qui firent grand bruit
(Le Jardin de la Vierge, Toscani Al Muro, Les fragments du désir). La deuxième exposition est une rétrospective des affiches publicitaires de Benetton par le photographe Toscani. Elle attire plus de 50 000 visiteurs et tourne ensuite à l'international. «
Il était question de la porosité du monde de l'art, du rapport entre publicité et art. Les collectionneurs étaient très dubitatifs », détaille Laurent Jacob. «
Ces trois expositions, ça permettait aussi de laisser agir une autre logique de celle des institutions, et cela dans le quartier des musées. Je continue à être tout à fait opposé au décentrage des institutions muséales, comme on le fait chez nous. Quand j’ai organisé les expositions à Old England, nous étions au cœur de Bruxelles. Il s’agissait d’un manifeste pour l’installation à Bruxelles du musée d’art contemporain de la communauté française. Centraliser permet aux visiteurs de voir plusieurs expositions dans une même journée. Et, surtout, ça donne de la visibilité aux artistes. »
L’exposition organisée à Tour & Taxis en 2001 a permis de faire changer l’affectation du site, qui était promis à un projet
Music City. En 2002, Laurent Jacob est engagé comme consultant pour l’organisation de Lille 2004, capitale européenne de la culture. Il monte pour l’occasion l’exposition
Black Box, sur
Les Afriques, qui attirera plus de 54 000 visiteurs. Citons encore le commissariat du Pavillon belge à Venise en 1999, des expositions en Off de la Biennale de Venise en 2001 et 2003, etc. Laurent Jacob n’organise plus d’expos événements depuis 2010, sans doute lassé de devoir sans fin aller chercher des fonds pour réaliser ses projets.
A Liège
A l'Espace 251 Nord, ce sont quatre à cinq expositions qui sont organisées chaque année. Aujourd’hui, le centre d’art emploie deux personnes. Il reçoit un budget de soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et un soutien de la région. «
Dans les années 1980, il y avait une effervescence dans la ville, poursuit Laurent Jacob,
on avait une forme de dandysme à Liège. C’est devenu beaucoup plus calme mais autour d’Espace 251 Nord, on observe un phénomène d’attraction. Des collectifs de jeunes artistes, architectes, etc. se sont installés dans le quartier. Nous essayons de mutualiser les énergies et de développer de projets ensemble.
Mais aujourd’hui il y a tellement de foisonnement à Bruxelles qu’ici ce n’est pas facile. Liège reste une ville frileuse au point de vue de l’art contemporain mais les artistes sont là : Jacques Lizène, Jacques Charlier, Johan Muyle, les frères Platéus, Pol Pierart, mais aussi les frères Dardenne, Bouli Lanners… Dans nos écoles d’art, il y a toujours un ton, un humour, ce que j’appelle un localisme universel. »
Les mains libres
Laurent Jacob se définit donc comme un artiste-réalisateur. Chaque exposition qu’il monte est une œuvre d’art. Pour
Les Mains libres, sur deux étages, l’ensemble des œuvres résonne en un chant polyphonique et philosophique. Commençons avec une vitrine reprenant cinq objets figurant des visages : un dioptase du Congo, une tête en pierre du XVIII
e siècle d’Afrique de l’Ouest, une gargouille du Moyen-Age, une tête en terre cuite réalisée par Roger Jacob (le père de Laurent Jacob) dans les années 1950 et une météorite métallique découverte en Argentine. Ce mélange de matières, de formes, de genres et de temps serait la signature de Jacob.
Dans une autre vitrine, on trouve côte à côte des œuvres en terre crue d’une jeune artiste, Noémie Vulpian, un coquillage de circoncision des îles Fidji, un serpent Djenné du Mali en terre cuite, une statuette Nomoli de Sierra Leone, un serpent picoté sur papier par Pascale Malilo… «
Le grand nombre de pièces exposées et leurs provenances extrêmement diversifiées permettent au visiteur d’établir sa propre interprétation, de se départir du regard formaté sur l’Art qui est trop souvent imposé, lui donnant ainsi la possibilité d’écrire son catalogue personnel et intérieur », peut-on lire dans la brochure de l’exposition.
Voici des dessins à l’encre de Chine de Michael Dans, un autre picotage,
Eponge, de Pascale Malilo, deux compressions de Michel François, l’une faite avec des papiers dorés de chocolat et l’autre avec des emballages argentés de pilules. Une margelle de puits du Niger, tailladée par le passage des cordes, deux
Dog from Pompei d’Allan Mc Collum, deux acryliques sur fibre de verre de Marcel Berlanger, une
Pierre de rêves du XIX
e de Chine, un dessin au crayon de l’abstrait Dan Van Severen, un monochrome bleu de Marthe Wéry ou une immense peinture,
Le Grand Serpent, de Walter Swennen.
Au sous-sol, il semble que l’ensemble des objets s’adresse à notre subconscient, en un périple à la fois profond et intense. Ca commence avec cette poignante photo noir et blanc de Babis Kandikaptis,
Mnêmê, trace d’une performance faite par lui en 1984 dans ce même sous-sol : il y creusa un trou dans le sol, figurant une tombe. A cette occasion, il découvrit quelques ossements et tessons de céramique, qu’on peut voir sur la photo. Cette photo parle du deuil, de la disparition.
Le plafond de la cave est soutenu par une série d’arches en briques, magnifiques. Elles font un parcours qui permet de structurer la visite. A droite,
Vanité I, de Michael Dans, la photo d’une femme dont le corps est maquillé pour le faire paraître maigre comme un squelette. A gauche, des
Poteaux Konsos, d’Ethiopie, monuments funéraires en forme de corps sculptés dans le bois. Notons
Ethnosysteme, des sculptures en bronze de Christophe Terlinden que nous avions pu découvrir à l’Iselp. Une forme ronde, plate et brillante sur le sol, faite de bitume liquide, magnifique, comme un œil ou un trou noir, de Noémie Vulpian, voisine avec une collection de cannes du sud de l’Ethiopie ou encore des blocs de sel utilisés pour les vaches dans les champs, qui ressemblent à des roches érodées par l’eau, de Michel François.
Ainsi, c’est la forme et la matière, leurs puissances respectives, qui sont l’alphabet du dialogue qui s’initie entre les différents objets présentés. Loin de tout propos intellectuel, c’est notre regard et le voyage qu’il fait au fil de l’exposition qui prévalent. D’une œuvre à l’autre, d’un temps à l’autre, les liens visuels, esthétiques ou philosophiques entre chacune d’elles sont un régal. On se trouve comme un enfant qui ne sait rien mais s’émerveille de tout. Autant devant un beau caillou que devant un dessin fraichement fini. Souvent, comprendre ne sert à rien, il suffit de regarder, le cœur ouvert. Que du bonheur !
Espace 251 Nord
251 rue Vivegnis
4000 Liège
www.e2n.be
Exposition Les Mains libres
Jusqu’au 28 juin
Du mercredi au samedi de 14h à 18h
Nocturne vendredi 26 juin jusqu'à 21h
Finissage dimanche 28 juin de 14h à 18h