Dans le cadre du PhotoBrussels Festival, Katherine Longly expose au Botanique, Mothmeister au Centre Tour à plomb et Joseph Charroy & Florence Cats à l’Enfant Sauvage. Trois expos où la photo sort du cadre.
Si le PhotoBrussels Festival nous montre une chose à travers ses 36 lieux et 200 artistes invités, c'est combien la photo peut être multiple, diverse et toujours passionnante. S'il en fallait une preuve, voici trois expositions qui abordent le médium photographique comme une expérience sensible.
On est ce qu'on mange, dit-on. Pas seulement dans son être, mais aussi dans son corps et dans ses formes. Maîtriser ce qu'on mange est une manière de maîtriser son corps, d'exercer un contrôle sur l'enveloppe qui nous représente aux yeux des autres. Source de plaisir et d'angoisses, d'excès et de contraintes, la nourriture est intimement intégrée au quotidien et aux relations sociales.
Fascinée par le Japon, l'artiste et photographe Katherine Longly y a fait plusieurs résidences. Le pays du Soleil-Levant offre au rapport à la nourriture un miroir fascinant. Dans une société où le poids de la conformité sociale est très présent, l'image de la minceur est - surtout pour les femmes - un idéal fantasmé et souvent inaccessible. Les rayons de supermarché au pays du kawaï (mignon) sont inondés de produits colorés, sucrés et légers qui ont totalement supplanté l'alimentation traditionnelle.
Jadis enfant en surpoids, qui a vécu pendant sa jeunesse un rapport conflictuel avec l'alimentation, Katherine Longly y a vu les enjeux d'un questionnement et d'une réalité universels. Pour nourrir son projet, elle a interrogé une dizaine de personnes, de profils et d'âges variés, des femmes, mais aussi quelques hommes, sur les liens conflictuels qu'iels entretiennent avec la nourriture et avec leur corps. Elle leur a demandé d'illustrer cette relation avec un appareil photo jetable et avec les images qui pouvaient leur faire sens. Ce projet a d'abord pris la forme d'un livre d'artiste, aujourd'hui épuisé, et ensuite d'une installation-exposition au Botanique. Mots, images et objets se complètent comme une mosaïque intimiste, comme un magnet coloré à apposer sur la porte du frigo. Entre Ren, enfant en surpoids qui adorait manger et faisait durer ses repas imaginaires pendant des heures, Yuki, qui a commencé à comptabiliser les calories qu'elle ingérait à 14 ans, et Kenichi, que son entreprise a enjoint de suivre un régime spécial parce qu'il avait dépassé le tour de taille prescrit pour les plus de 50 ans, ces 10 récits fragmentaires et personnels, entrelacés de mises en contexte, articles de journaux et échanges sur les réseaux sociaux composent une exposition que l'on déguste à petites bouchées pour découvrir des goûts et saveurs inconnues, mais aussi étrangement familières.
Avec Mothmeister, on entre dans un monde dévasté peuplé de tribus entre heroic fantasy, gothique victorien, steam punk et contes macabres. Ces créatures étranges vêtues de riches atours, clowns maléfiques, officiants d'un culte inconnu ou de rituels d'après l'Apocalypse, semblent vivre en symbiose avec les animaux.
Ce mystérieux couple d'artistes flamands a construit autour de son travail une communauté de fidèles par-delà les frontières. Ils ont choisi leur pseudonyme en référence au papillon de nuit, créature mal aimée, symbole de la métamorphose. Ils ont conçu leur exposition au Centre Tour à Plomb comme une immersion visuelle et sonore dans leur monde carnavalesque et grinçant.
Aux photos s'ajoutent les masques, mannequins aux parures recherchées, animaux empaillés et objets étranges mis sous cloche évoquant le cabinet de curiosités d'un collectionneur obsédé par la mort ou une édition dystopique du BIFFF. Même s'ils collaborent avec des costumier.ière.s, créateur.rice.s de masques, taxidermistes, ils créent leurs images en duo se partageant et s'interchangeant les rôles devant et derrière l'objectif. « On ne travaille pas à partir de croquis ou de story-boards. On improvise avec nos tripes en fonction des accessoires, des vêtements et du paysage qui nous entourent. »
À aucun moment, le spectateur ne croisera le regard des créatures imaginées et rendues à la vie par le duo. Qu'iels tournent la tête vers le bas ou le côté, ou que leur regard s'emplisse d'ombre et de suie, jamais on ne peut y croiser une étincelle de vie ou d'âme. « Nos personnages se sentent abandonnés et incompris et se réfugient dans leur monde intérieur. Au premier regard, on peut être effrayé par leur apparence laide ou grotesque, mais on invite le spectateur à aller au-delà des préjugés. »
Dans la contre-culture des années 1970, le terme Drop-out était une invitation à se libérer des conventions et hiérarchies de la société. Aujourd'hui, c'est un terme qui décrit ceux qui sortent du rang pour se placer en marge de la société, de l'école, de la cellule familiale.
C'est aussi une belle manière de décrire la pratique buissonnière du couple d'artistes Joseph Charroy et Florence Cats, qui aborde la photo comme un médium organique sensuel qui n'est qu'une des composantes d'une expérience sensorielle globale. Dans leur pratique, ils mêlent objets trouvés, clichés sur des pellicules périmées, impressions sur des papiers destinés à d'autres images.
Ils ont conçu leur exposition à l'Enfant Sauvage comme une installation immersive qui fait dialoguer image, lumière et son. Joseph occupe avec ses photos la pièce d'entrée, tandis que Florence a investi la pièce en sous-sol avec un installation sonore et visuelle qui prolonge et complète l'univers du dessus. Joseph a opéré une sélection parmi des images prises sur une longue période en jouant sur les différences de format et de type d'impression. « À chaque expo, je peux réutiliser certaines images qui prennent une nouvelle signification en fonction des associations. La photo, c'est concret en principe, mais il ne faut pas grand-chose pour la rendre abstraite. »
Les impressions sur des papiers récupérés, tirages très peu orthodoxes favorisant les accidents et les imperfections, côtoient les photos tirées au cordeau dans un noir et blanc profond sur du papier photo professionnel. « Dans les photos de Joseph, il y a quelque chose d'étrange et de légèrement ambigu. Et c'est là qu'on peut commencer à projeter quelque chose. »
Dans l'installation, les sons du dehors se mélangent à ceux du dedans. Les interventions dans la pièce sont minimales : des Letraset de couleur récupérés chez un architecte sont collés épars sur un mur comme une forme éclatée. Des objets, ou fragments d'objets comme autant de fragments d'expériences, sont disséminés deci delà. Une tenture faite d'une miroitante couverture de survie filtre la lumière de la fenêtre. Des sons discrets s'infiltrent dans la pièce par un tuyau d'aération, sons captés en forêts ou motifs musicaux que Florence joue au thérémine, tout se mélange de façon indistincte.
« La photo, ce n'est pas seulement une image, c'est aussi une expérience du temps et de l'espace différente pour chacun d'entre nous », précise Florence.
Katherine Longly,
To tell my real intentions, I want to eat only haze like a hermit
Botanique Galerie
236 rue Royale
1000 Bruxelles
Jusqu'au 5 mars
Du mercredi au dimanche de 12h à 20h
www.botanique.be
Mothmeister
La Mort masquée
Centre Tour à Plomb
24 rue de l'Abattoir
1000 Bruxelles
Jusqu'au 4 mars
Du mardi au samedi de 9h à 22h
www.touraplomb.be
Joseph Charroy & Florence Cats
Drop-out
Galerie L'Enfant Sauvage
23 rue de l'Enseignement
1000 Bruxelles
Jusqu'au 12 mars
Du vendredi au dimanche de 14h30 à 19h
www.enfantsauvagebxl.com
Rédacteur en chef
Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT
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