Le silence intérieur de Louis Thévenet

Eric Min
24 février 2021

Au Sablon, à l'Association du patrimoine artistique, le peintre bruxellois du début du XXe Louis Thévenet est à l'honneur.

Qui regarde encore les scènes de plage ensoleillées du postimpressionniste Frans Smeers ? Les puissants personnages de Maurice Wagemans, les paysages d'Alfred Bastien ou les scènes d’intérieur de Franz Van Holder ? Et qui connaît encore Jehan Frison ? Même des noms comme Auguste Oleffe ou Willem Paerels sont lentement tombés dans l’oubli. On dirait que seul Rik Wouters représente aujourd'hui – après plus d’un siècle – l'art de son temps, occasionnellement en compagnie d'un Tytgat ou d'un Brusselmans. Néanmoins, l'explosion de la peinture belge à la veille de la Première Guerre mondiale a produit de nombreuses autres figures intéressantes, qui reçoivent rarement l’hommage d'une exposition. Prenez par exemple le Bruxellois Louis Thévenet (1874-1930).

Par bonheur, ce jeune artiste s'est trouvé au milieu de l’effervescence de la capitale belge, au tournant du siècle, dans laquelle se sont tenues les prestigieuses expositions annuelles des Vingt et plus tard de La Libre Esthétique, où les artistes rencontrent un public averti d'intellectuels, de critiques et de collectionneurs. Des cercles artistiques tels que Le Sillon et Le Labeur y étaient actifs – c’est ce dernier que Thévenet allait rejoindre. Un -isme a suivi l'autre : le réalisme s’est tourné vers le symbolisme, l'impressionnisme s’est fondu dans le pointillisme, et bientôt le fauvisme prendra le relais. Au même moment, une nouvelle société était en construction. Un des lieux où se refaisait le monde dans un esprit plus révolutionnaire était la maison Beethoven, boutique de l'éditeur de musique Oertel, rue de la Régence. Là, musiciens, écrivains et peintres ont discuté de l'anarchisme, de l'amour libre et du végétarisme. Le frère aîné de Louis, Pierre, y travaillait, et Louis lui-même y trouva un emploi – il avait auparavant été boulanger et cuisinier lors de ses voyages au long cours. À son retour à Bruxelles, il a commencé à peindre en autodidacte. Ce n'est qu'occasionnellement qu'il prit des leçons – avec son aîné Auguste Oleffe, épaulé par Rik Wouters et Jean Brusselmans.

C'est ainsi qu'a commencé la vie de peintre de Thévenet. Il se contentait de peu pour être heureux : de la toile et de la peinture, une promenade dans la banlieue verdoyante de Bruxelles, un seul critique qui suivait ses activités avec sympathie, René Lyr, et un mécène qui lui achetait de temps en temps une de ses œuvres, François Van Haelen, brasseur de faro et de lambic, mais aussi collectionneur d'art... Et de temps en temps, lors d’expositions collectives organisées par La Libre Esthétique (en 1906, 1908 et 1912), Thévenet y montrait quelques œuvres. À la prestigieuse galerie de Georges Giroux, il fera son exposition personnelle en 1913. Son art tombe ensuite dans l’oubli.

Thévenet, à tort trop peu connu, a construit une œuvre cohérente et idiosyncratique, dans laquelle les intérieurs simples forment l’essentiel. C'est dans cette suite de tableaux que l'on retrouve sa véritable signature : un idiome très personnel de thèmes, de formes et de musicalité. Ce n'est pas un hasard si ce dernier terme nous vient à l'esprit lorsque nous errons parmi ses œuvres : dans ces maisons, il n’y a pas un bruit, comme si leurs habitants venaient de sortir et que les objets y devenaient orphelins. Un bâton de marche, une farde de dessin et un tiroir ouvert suggèrent des messages secrets pour les initiés. Souvent le regard passe d'une pièce à l'autre comme dans un intérieur hollandais de l'Âge d'or. Et pourtant Thévenet a peint sur toile avec des traits rugueux, presque enfantins et naïfs. Aucun humain n'entre en scène ; parfois apparaît un personnage de dos.

Plus que les histoires et les anecdotes possibles, ce que le peintre retient du monde : la tranquillité, la simplicité et une lumière un peu poussiéreuse dont Thévenet drape soigneusement les choses. C'est ainsi qu'il nous montre le silence.


Louis Thévenet
La vie est là, simple et tranquille 
Association du patrimoine artistique 
7 rue Charles Hanssens
1000 Bruxelles 
Du jeudi au samedi de 14h à 18h 
Jusqu'au 3 avril
www.associationdupatrimoineartistique.be

Eric Min

Journaliste

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