La galerie Irène Laub a invité Lucile Bertrand et François Réau à faire dialoguer leurs œuvres méditatives qui impriment le temps et recomposent les paysages. Jusqu'au 20 juillet.
Il y a dans le paysage quelque chose d'insaisissable qui nous interroge. D'immobile et de changeant. Une mise en retrait du moi pour se lier à plus grand que soi. Lucile Bertrand et François Réau, les deux artistes que présente la galerie Irène Laub, se complètent et se répondent dans une exploration du temps, de la mémoire et de leurs frontières mouvantes et émouvantes.
Avec des branches qu'il a ramassées en rue ou dans la forêt, avec des tubes au néon comme écriture, François Réau trace des lignes dans l'espace. Entre nature et fiction. Des lignes encore sur la monumentale installation qui occupe un mur de la galerie. Les traits de crayon noir qui couvrent ce triptyque apparaissent serrés les uns contre les autres, comme une masse mouvante et vibrante. Quand on fixe le dessin du regard, on distingue comme un paysage abstrait où des formes indécises se dévoilent en fonction de l'intensité du trait. Ce travail minutieux et hypnotique est comme une méditative mesure du temps à laquelle fait écho l'essaim de petits poids de cuivre suspendus en hauteur à d'imperceptibles fils blancs, comme si les six mois que l'artiste s'est donnés pour réaliser sa fresque s'étaient figés en donnant une mesure physique du temps écoulé.
On entre dans le monde de Lucile Bertrand comme on traverse une frontière invisible qui a pris la forme de voiles suspendus de lin beiges. Des mots et des calligraphies abstraites transparaissent par effacement comme une métaphore textile des errements de la mémoire.
Dans la série Des routes et des mots, l'artiste dessine les parcours de différents duos d'écrivain.e.s, Toni Morrison et William Faulkner, Paul Celan et Kateb Yacine ou François Rabelais et Jonathan Swift. Des déplacements, ramenés à un trait de couleur oscillant sur la feuille blanche, apparaissent comme des électrocardiogrammes poétiques de l'écriture. Chez Marcel Proust et Emily Dickinson, immobiles voyageurs de la plume, le parcours est réduit à un petit trait horizontal, alors que, chez d'autres, la ligne sinueuse s'aventure bien au-delà du fin cadre tracé au crayon, trop restreint pour contraindre leur imaginaire.
Dans le dessin I'm in transit, un paysage désolé tracé à la mine de plomb est rythmé par des mots répétés comme un mantra et couverts de peinture blanche, pareils aux traits blancs sur l'asphalte de la route.
On retrouve aussi Temps suspendu, la poétique sculpture de plumes réalisée pour la Biennale d'Enghien en 2020.
Artiste inclassable Lucile Bertrand passe de l'image au mot, de l'intime au paysage. Elle adopte différents médiums et matériaux, de l'installation à la sculpture, au dessin ou à la photo. « J'aime tous les matériaux, mais je ne les choisis pas. Ce sont eux qui s'imposent à moi. » Les mots auxquels elle a souvent recours, elle les utilise comme un matériau, le matériau de la mémoire. Tantôt à la limite du lisible, ils apparaissent, dans des typos parfois minuscules, imprimés, dessinés ou incrustés dans l'espace de l'image comme dans ses profondes photos imprimées au dos d'une plaque de verre et placées sur un dessin à la mine de plomb.
La superposition des couches crée un espace visuel indéfini qui fait écho aux fragments de paysage à la limite de l'abstraction qu'elle photographie. « C'est un travail intimiste qui invite le spectateur à s'approcher au plus près pour comprendre ce qui se passe. » Après s'être rapproché, on s'éloigne, gardant en soi des traces de ce que l'on a vu. Ici et ailleurs.
Voyageurs immobiles
Lucile Bertrand
François Réau
Irène Laub
29 rue Van Eyck
1050 Bruxelles
Jusqu'au 20 juillet
Du mardi au samedi, de 11h à 18h
www.irenelaubgallery.com
Rédacteur en chef
Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT
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