Marina Pinsky, le temps du jeu

Oriane Thomasson
09 juin 2023

La Loge présente Infinite Play, une exposition de Marina Pinsky. L’artiste s’approprie librement le lieu et son histoire pour permettre au spectateur de rejouer son expérience du bâtiment selon de nouvelles règles, élaborées par tout un réseau d’interprétations, de symboles, et d’invitations au jeu.  

Le prisme du jeu, compris comme discours spéculatif, permet à Marina Pinsky d’envisager l’espace de La Loge comme un lieu d’échange et de plaisir, notamment en modifiant l’organisation spatiale de la pièce centrale qu’est celle du temple. L’artiste y a surélevé le sol à la même hauteur que celle de l’estrade du fond, tout en ménageant une fosse en son centre dans laquelle il est possible de s’installer autour de trois tables rondes.


Cartes sur table

À partir de l’ancienne hiérarchie spatiale induite par l’estrade, l’artiste produit une nouvelle organisation sociale invitant les spectateurs à s’assoir et à converser d’égal à égal. Chaque table ronde est recouverte d’une nappe brodée numériquement représentant des calendriers, dont deux de treize mois, tels qu’ils étaient proposés par La Ligue internationale du calendrier, qui considérait cette division du temps plus avantageuse pour les affaires. La Ligue internationale du calendrier était notamment constituée par des industriels américains du début du XXe siècle, auquel adhérait George Eastman, le fondateur de Kodak. Comme un clin d’œil, cette référence à la photographie, à son histoire et à son inscription dans le monde est une des nombreuses clés de lecture du travail de Marina Pinsky

Extension du jeu en dehors du cadre fixé par l’exposition, certaines nappes ont été conçues par l’artiste pour être divisée en douze parts - grâce à un ingénieux système de fermetures Éclair - qui seront redistribuées après l’exposition entre les membres de la communauté de soutien de La Loge, First Sight


Espace, temps et photographie 

Au premier étage et dans l’espace singulier du triangle, le médium photographique et la production d’images sont à nouveau questionnés avec les œuvres en trois dimensions Spektral-adaptive Farbenplastik et Adaptiv-perspektive Farbenplastik, produites à partir de légendes d’anciennes cartes topographiques. Recouverte par la photographie d’une route vue du ciel, la perspective en escalier construite par le volume de Spektral-adaptive Farbenplastik se déconstruit lorsque le spectateur se déplace, et que le volume de l’œuvre s’aplanit au profit de la photographie, faisant ainsi passer l’œuvre de l’objet à l’image. La performance physique du spectateur est ainsi remise au centre du dispositif de lecture de l’image et de sa mise en espace. 


Le jeu des perles de verre 

C'est par un extrait du livre de Hermann Hesse Le jeu des perles de verre que l’artiste nous introduit dans une autre série  d’œuvres réparties dans l’ensemble du bâtiment, constituées de billes de verre colorées ajustées sur des segments de métal. Tel qu’il est décrit dans l’œuvre de l'écrivain allemand, le jeu des perles de verre est un instrument qui permettrait de reproduire dans son jeu tout le contenu spirituel de l’univers. Les élégantes sculptures imaginées par Marina Pinsky sont déposées sur des socles ayant appartenu au mobilier de la loge, faisant ressurgir ainsi l’histoire des lieux. En forme de roue, de boulier, ou même de virgule, chacune de ces structures est une invitation à plonger dans une énigme qui pourrait bien ne pas avoir de solutions. L’artiste souligne ainsi la beauté de tout ce qui se maintient dans une forme de complexité, ce subtil mélange de certitude et d’irrésolution qui est à l’image du clair-obscur de notre monde et de ses profondeurs. 

Avec Infinite PlayMarina Pinsky use subtilement de cette capacité qu’a le jeu à remuer d’un coup l’équilibre tranquille du monde, et, le temps de l’exposition, propose au spectateur d'en reprendre la mesure et l’étendue à travers le réseau infini de ses significations. 
 

Marina Pinsky 
Infinite Play  
La Loge  
86 rue de l’Ermitage 
1050 Bruxelles 
Jusqu’au 2 juillet 
Du jeudi au dimanche de 13h à 18h
 
www.la-loge.be

Oriane Thomasson

Journaliste

Diplômée de l’ERG en Arts Visuels, photographe mais pas seulement, Oriane Thomasson s’intéresse à l’art dans tous ses états, avec une prédilection pour les arts non-européen, le dessin, et la peinture. Passionnée de littérature, l’histoire naturelle et les voyages sont pour elle à la fois une source d’inspiration, et de fascination. Après avoir obtenu l’agrégation en arts plastique, écrire pour Mu in the city sur les expositions qu’elle voit lui permet de partager un regard sur l’art, et son enthousiasme pour les artistes.

Articles de la même catégorie