Dans le cadre de Photo Brussels Festival, le collectif La Nombreuse présente, dans son espace à Saint-Gilles, Mother’s therapy de Mathias de Lattre, une exposition qui retrace, à travers le médium photographique, l’intérêt de l’artiste pour les champignons hallucinogènes dans l’intention de soigner sa mère atteinte de troubles bipolaires. Les recherches de Mathias de Lattre commencées il y a une dizaine d’années l’ont mené sur les traces des populations précolombiennes, de la préhistoire, de l’archéologie, de la mycologie et même de l’ethnomycologie. Il nous livre ici un récit photographique émouvant qui oscille entre histoire intime et étude scientifique.
Tout commence quand Mathias de Lattre se plonge dans la littérature sur la médecine psychédélique et qu’il décide d’aborder avec sa mère le sujet d’un traitement par la prise de substances psychédéliques microdosées. Les nombreuses drogues prescrites jusque-là à sa mère pour la soigner embrouillaient son esprit et endommageaient peu à peu sa santé sans beaucoup de résultat. Sa mère se montrant particulièrement réceptive à l’idée de tenter l'expérience des psychédéliques, Mathias de Lattre se met alors à la recherche de psychiatres qui connaissaient l’usage de la psilocybine, la principale substance psychoactive des champignons hallucinogènes. L’artiste part à la rencontre de plusieurs spécialistes et fait notamment la connaissance de Robin Carhart-Harris, fondateur du Centre de Recherche psychédélique à l’Imperial College de Londres et du Dr Franz Vollenweider, psychiatre en chef et codirecteur du Centre de recherche psychiatrique et professeur de psychiatrie à l’École de médecine de l’Université de Zurich.
L’exposition met en exergue la période de sevrage subie par la mère de l’artiste pendant plus de deux ans à travers une série de photographies en couleur réalisées à partir d’une chambre 4x5. Pour que les prises de psilocybine soient efficaces, il fallait absolument éliminer auparavant toute substance chimique de l’organisme. Pendant cette phase de sevrage, la mère connaît des moments très difficiles d’angoisse, de dépression et d’anhédonie que le fils a cherché à immortaliser dans des portraits saisissants. Quand on découvre les images de cette femme, on est frappé par son visage tendu, crispé et gonflé qui traduit un profond mal-être. Un sentiment de tristesse, d’abattement émane de ces photographies et nous bouleverse dans notre intériorité.
Une fois cette phase passée, les psychédéliques finissent par fonctionner au point qu'aujourd’hui, la mère de l’artiste va beaucoup mieux. Son état s’est considérablement amélioré grâce à une administration régulière de champignons hallucinogènes dans le respect des usages chamaniques.
À côté des portraits de la mère de l’artiste, on découvre l’ouvrage du professeur Roger Heim (1900-1979) qui, le premier, a identifié les différents champignons hallucinogènes collectés par un couple d’ethnologues américains, Valentina Pavlona Wasson et Robert Gordon Wasson. En 1953, les époux sont partis en expédition au Mexique, ont assisté aux cérémonies chamaniques et collecté des champignons psychédéliques aujourd’hui conservés au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris. C’est au couple Wasson que revient le mérite d’avoir initié l’Occident aux rituels sacrés amérindiens.
À travers son exposition, Mathias de Lattre montre que l’étude des psychédéliques est une histoire ancienne. Sur un des murs figure une photographie d’une pierre en forme de champignon qui provient des civilisations Mayas. Les archéologues ont posé comme postulat que ces mushroom stone pourraient faire partie d’un culte du champignon méso-américain datant de plus de 2000 ans. À côté, une autre photographie présente La scène du puits, la seule forme humaine représentée dans la grotte de Lascaux. Certains historiens pensent qu’il s’agit de la représentation d’un chaman en transe. Les hommes préhistoriques faisaient-ils déjà usage de champignons hallucinogènes ?
S’agissant de la scénographie, l’exposition présente des perspectives visuelles intéressantes. Certaines photographies tirées sur des supports transparents sont suspendues dans le vide. En se positionnant depuis un certain point de vue, le spectateur peut entrevoir plusieurs images à travers elles et ainsi mettre en relation les portraits, les photos des grottes préhistoriques, les artéfacts précolombiens, etc.
C’est avec beaucoup d’humilité que Mathias de Lattre relate son histoire personnelle dans Mother’s Therapy. Comme il aime le souligner, « C’est juste l’histoire de ma mère. Juste l’histoire d’un être, de sa quête et de sa vérité subjective ». Un témoignage émouvant, rempli d’espérance et de détermination. À ne pas manquer !
Mother's therapy
La Nombreuse
42 rue du Fort
1060 Saint-Gilles
Jusqu'au 26 février
Du lundi au dimanche de 13h à 19h
la nombreuse
Journaliste
Diplômée d’un master en Architecture à l’ULB-La Cambre-Horta et d’un master en Histoire de l’art à l’ULB, cette double formation lui a donné l’opportunité de s’occuper de la scénographie des expositions « Belgian Follies » (2020) et « Superstudio Migrazioni » (2021) au CIVA. Depuis septembre 2018, elle travaille également très régulièrement en tant que guide-conférencière. Elle anime notamment des visites guidées pour Arkadia, Brussels Gallery Weekend et Art Brussels. De 2019 à 2021, elle a enseigné le cours de projet d’architecture en bachelier à la faculté d’architecture de l’ULB-La Cambre-Horta.
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