Michel François. La matière et le monde

Gilles Bechet
22 avril 2023

Pour sa première exposition majeure dans la capitale depuis plus d'une décennie, Michel François s'invite à Bozar pour faire dialoguer des anciennes et des nouvelles pièces dans une passionnante rétro-prospective à la hauteur de son talent singulier.

Michel François ne peint pas, ne dessine pas, et il agence et assemble plus qu'il ne sculpte. C'est un artiste de l'œil et de la main. Pour observer le monde et agir sur la matière. Il y a dans l'art de Michel François une forme d'évidence et une évidence de la forme. Derrière chaque œuvre, il y a un contexte. La pratique de l'art est pour lui un moyen d'exister dans le monde et une façon d'exprimer ce que ce monde lui inspire.

La grande diversité des matériaux utilisés dans l'exposition Contre nature, et l'apparente simplicité du geste artistique incitent à se demander quelle est la patte de Michel François, quel est son style. Avec certaines des œuvres isolées, c'est hasardeux. Cela pourrait être le fait de bien d'autres artistes, mais quand on voit toutes ces pièces rassemblées, ça fait sens. Tout à coup, on peut se dire, tout ça c'est Michel François et personne d'autre.

Pour sa première exposition en Belgique depuis celle qui s'est tenue au SMAK en 2009, l'artiste bruxellois occupe une suite de salles à Bozar qu'il investit comme un décor de théâtre et où il met en scène des déclinaisons thématiques de son atelier.


Agent transformateur

L'exposition peut, dès lors, être vue comme une œuvre d'art totale, une installation dans six espaces ou chapitres séparés et connexes qui reflètent aussi bien l'atelier de l'artiste que les typologies de ses actes créatifs.

Par son titre, Michel François avance qu'il se pose au contact et en opposition avec la nature. Chacune des pièces présentées sont des créations qui prennent forme à partir des matériaux les plus divers, naturels comme synthétiques. En prenant souvent ses matériaux dans ce qui l'entoure, Michel François prend le monde avec lui, le monde avec ses contradictions, avec ses beautés et ses paradoxes.

Comment, dans la pièce Blind Spot, évoquer le danger de la surveillance généralisée, comme le repli narcissique de l'individu ? Dans les miroirs d'une structure panoptique, on peut voir des images filmées de bulles de gaz qui remontent à la surface de lacs de boue en Azerbaïdjan. Et dans ces bulles, le reflet du photographe qui les observe. Qui observe qui ?

Comment faire état de la guerre sans montrer les tanks, les armes et les fracas des bombardements ? Dans la salle Théâtre des opérations, Michel François évoque le conflit en Syrie en creusant dans le mur un diagramme abstrait qui relie des points symbolisant les diverses forces armées présentes sur le terrain. « J'ai l'habitude de m'attaquer à des sujets intraitables auquel l'art n'a pas grand-chose à faire. Est-il possible de traduire un conflit par une forme qui souligne la dureté qu'elle entraîne ? », se demande l'artiste. La réponse à la question se trouve peut-être au milieu de la salle, dans le drapeau blanc qui ne peut flotter sans l'aide d'une imposante machinerie.

Michel François aime jouer des interconnexions entre des éléments a priori disjoints, comme le sont la nature et la culture. Les feuilles de bananier et les motifs d'un ballon de foot. Et quand il découpe, dans une vieille veste en cuir de ses 18 ans, les hexagones qui ornent la surface d'un ballon de foot, c'est la matière qui façonne notre monde en se transformant. Le temps est souvent un agent transformateur de la matière, l'acte artistique permet d'accélérer le temps, comme les gouttes d'eau qui dissolvent et creusent un bloc de sel gemme, vieux de plusieurs dizaines de milliers d'années.


Vide intérieur

Quand il parcourt le monde, Michel François se balade toujours avec son appareil photo. Les images qu'il prend ne révèlent pas toujours leur sens et leur potentiel du premier coup. La photo, prise en Inde, d'un coin de maison ouvert à tous les vents, a servi de matrice à de nombreuses œuvres ou maquettes à différentes échelles et d'espaces fictionnels définis par deux pans de mur et une porte. Il en va de même pour un livre qui change de mains, saisi à la dérobade à Cuba, lors du sauvetage d'une maison sinistrée.

Dans la Scène des abandons, Michel François abandonne l'autorité de l'artiste et toute idée de talent pour faire confiance à la matière et à sa capacité de transformation. Une couronne de bronze dessinée par le métal en fusion qui s'échappe d'un creuset renversé chez le fondeur. Des rouleaux de bandelettes finement serrées dont la continuité de la matière et de la forme est interrompue par l'introduction d'un accident produisent un objet dont la beauté est un cadeau de la nature. Au mur se déploie un papier peint où s'alignent des figures de bâilleur. « Quand on bâille, on perd le contrôle de son expression et on fait l'expérience d'un vide intérieur », note l'artiste.

La dernière section, Pièces à conviction, organise la rencontre entre des photos et des sculptures minimalistes nées de l'assemblage de matériaux divers, des pierres, du bitume, une chaise, des pissenlits, une chaîne de cacahouètes en bronze. De ces assemblages de matériaux inertes semble émerger comme une présence ou une trace de vie. « Ce qui m'intéresse dans la sculpture, c'est le vivant. Et l'expression d'une grande fragilité et d'une grande instabilité. On fait un objet pour remplacer le corps qui s'est absenté et proposer quelque chose à sa place. »
 

Michel François
Contre nature
Bozar
23, rue Ravenstein 
1000 Bruxelles
Jusqu'au 21 juillet
Du mardi au dimanche de 10h à 18h

www.bozar.be

Gilles Bechet

Rédacteur en chef

Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT

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