En 1870, la France déclare la guerre à la Prusse. Afin d’échapper à l’incorporation forcée, et à la famine engendrée par la Commune de Paris, nombre d’artistes français, dont Claude Monet, quittent leur pays pour se réfugier en Angleterre, alors au sommet de sa puissance, prétexte de l’exposition Impressionnists in London, French artists in exile (1870-1904) présentée par la Tate Britain jusqu’au 7 mai.
Outre Monet, on y trouve Tissot, Sisley, Derain, Pissarro et d’autres qui découvrent en Angleterre un autre mode de vie, des grands parcs très différents des jardins à la française inspirés de Versailles où il est interdit de marcher sur les pelouses. Tous sont impressionnés par les tableaux de Turner, leur lumière, leurs couleurs, la manière peu conventionnelle dont ils sont peints. C’est aussi à Londres en 1871 que Monet rencontre Paul Durand-Ruel, exilé français comme lui, marchand d’art visionnaire, qui organise une première exposition dans la capitale britannique en 1872, avant de faire connaître l’impressionnisme dans son réseau international de galeries à Paris, Bruxelles, New York. Ce seront d’ailleurs les Américains qui, bien avant les Européens, assoiront la réputation du mouvement, et par là sa notoriété financière et culturelle. Le titre de l’exposition est séduisant, et prometteur, mais il faut bien reconnaître qu’il ne correspond pas tout à fait aux oeuvres exposées puisque nombre d’artistes présentés ici ont tout simplement sombré dans l’oubli, ou, pire, n’ont rien à voir avec l’impressionnisme. D’autre part, l’intitulé pourrait laisser croire que ces artistes sont restés une trentaine d’années à Londres, ce qui est faux. Monet, par exemple, n’y restant que quelques mois avant de rentrer en France via la Hollande. Mais peu importe, tant cette exposition vaut par la présence exceptionnelle de six vues du Parlement (The Houses of Parliament) peintes par Monet, véritable prouesse muséographique étant donné que ces chefs d’oeuvres — chacun valant des fortunes — sont prêtés par les plus grands musées. Si la série de 19 tableaux de format identique est entamée lors de plusieurs séjours londoniens de 1900 et 1901, elle se termine en atelier, en France, avec l’aide de photographies, jusqu’en 1904. Elle fait suite aux Gare Saint-Lazare, Meules, Les Peupliers, les 31 vues de la Cathédrale de Rouen, et précède les Nymphéas entamés en 1903. Contrairement aux Cathédrales de Rouen peintes avec le soleil dans le dos du peintre, ou de côté, ces Houses of Parliament sont peintes en contre-jour, le soleil dans les yeux, exactement comme Impression, soleil levant, le tableau polémique qui a mis l’impressionnisme sur le devant de la scène artistique en 1874. Retour aux sources, près de trente ans après. Même là, malgré le célèbre fog, l'artiste n’utilise jamais de noir, mais des mélanges de teintes, foncées, l’effet de contre-jour étant mieux obtenu par le fond éclairé par l’arrière. Il est symptomatique que Monet — contrairement à Van Gogh, voire Degas et les éclairages artificiels — n’a jamais peint de scène de nuit, mais, tout au plus, des couchers de soleil ou des scènes de brouillard comme on le voit ici. C’est toujours un plaisir renouvelé d’admirer en vrai et de près quelques-uns parmi ces chefs-d’oeuvres, et pouvoir comparer, sur pièce, d’autant que l’expo propose des tableaux très contrastés. L’ensemble est superbe, et vaut à lui seul le déplacement. Cette exposition étant co-produite par le Petit Palais, elle sera visible à Paris du 21 juin au 14 octobre 2018.
The EY Exhibition : Impressionnists in London, French artists in exile (1870-1904)
Tate Britain
Londres
Jusqu’au 7 mai
www.tate.org
Journaliste
Retraité en 2011, mais pas trop. Quand le jeune étudiant passe la porte des Instituts Saint-Luc de Bruxelles en 1961, il ne se doute pas qu'il y restera jusqu'à la retraite. Entre-temps, il est chargé d’un cours de philosophie de l’art et devient responsable des cours préparatoires. Il est l’un des fondateurs de l'Ecole de Recherches graphiques (Erg) où il a dirigé la Communication visuelle. A été le correspondant bruxellois d’Angoulême, puis fondateur de 64_page, revue de récits graphiques. Commissaire d’expositions pour Seed Factory, et une des chevilles ouvrières du Press Cartoon Belgium.
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