Gloire et décadence à Tournai

Fabian Meulenyser
30 avril 2020

Le musée des Beaux-Arts de Tournai trouve place dans l'enclos Saint-Martin, en plein cœur d'une cité des cinq clochers très agréable à arpenter. Vous n'échapperez pas aux torsions de nuque de rigueur devant l'immense cathédrale et l'imposant beffroi – le plus ancien de Belgique – avant de rejoindre un musée à l'histoire singulière, pourtant peu connu par-delà la région picarde.

La genèse du musée des Beaux-Arts commence à l'aube du XXe siècle et est liée au destin personnel d'Henri-Emile Van Cutsem, amateur d'art fortuné et artiste à ses heures. A la fin de sa vie, le mécène bruxellois cherche à léguer son immense collection de peintures belges et françaises, exigeant comme unique condition à ce legs la construction d'un musée par son ami Victor Horta. Tout naturellement, c'est vers la ville de Bruxelles que se tourne Van Cutsem, mais l'histoire va prendre une tournure inattendue. Au moment de l'inventaire de la collection, l'officier en charge de la lourde tâche tique sur la Nymphe de Léonce Legendre. Des voix s'élèvent dans l'administration bruxelloise : la nudité frondeuse du tableau dérange. La sentence est sans appel : impossible d'intégrer l'œuvre dans le legs laissé par le notable.

L'héritage Van Cutsem

Henri Van Cutsem ne décolère pas, ce sera toute la collection ou rien ! Il se tourne alors vers son ami Louis Pion, artiste renommé, directeur de l'Académie des Beaux-Arts de Tournai. L'affaire est vite pliée. A cause du zèle chaste de son administration, la ville de Bruxelles se prive d'une collection inestimable, et c'est Tournai qui rafle la mise. Van Cutsem meurt en 1904, il ne verra jamais le graal censé pérenniser sa collection. L'histoire du musée ne fait, elle, que commencer. Un héritage qui, s'il semble aisément assumable à première vue, se révélera de plus en plus dur à porter pour Tournai.

Au moment de la conception du musée, Victor Horta prend en compte la dimension sécuritaire dans ses tracés. Nous sommes en 1911 et la Joconde vient d'être volée au Louvre. Elle sera retrouvée deux ans plus tard, mais la réflexion de l'architecte se cristallise autour de cet axe important. Les plans proposés répondent d'ailleurs à cet impératif de manière ingénieuse : en se plaçant au centre du musée, le gardien est capable d'avoir vue sur toutes les salles. Cet aspect pratique, devenu depuis obsolète avec l'ajout de cimaises à l'intérieur des salles, n'est pas la seule priorité du maître.

Horta n'avait pas tout prévu

L'erreur, le péché originel se profile : en concevant un musée extrêmement lumineux, Horta est loin de se douter que cette caractéristique charrie d'énormes problèmes en matière de conservation des œuvres. Le temps et les avancées scientifiques se chargeront de révéler les malfaçons involontaires de l'architecte. Pour contrer celles-ci, les larges voûtes en verre des salles secondaires ont dû être recouvertes par des bâches de fortune. De fortune, car le manque de moyens et d'entretien ronge inlassablement l'édifice, qui n'a plus vraiment le cachet qu'il devait avoir à ses débuts.

Ce constat amer est loin d'être un euphémisme : à chaque précipitation conséquente, les clapotis s'invitent au milieu de Manet, Monet et consorts, pour un concerto pluvial qui n'a rien à envier à celui que l'on peut observer chez son homonyme bruxellois ! On a le droit de se poser de sérieuses questions quant à l'intégrité des œuvres exposées, et pourtant... L'ensemble quelque peu désordonné que constitue le musée présente un charme désuet indéniable, bien que difficile à saisir par les mots.

Une richesse inestimable, bientôt dans un nouvel écrin

Manet, Monet, Toulouse-Lautrec, Van Gogh, Ensor... Pour une somme dérisoire, ces monuments de l'impressionnisme s'offrent à nos regards le temps d'un aparté lumineux. Si Argenteuil – restauré en 2014 grâce au Fonds Lemay – et le Père Lathuille valent le déplacement à eux seuls, le musée fait également la part belle aux primitifs flamands (van der Weyden, Jan Gossaert, Robert Campin) et aux peintres tournaisiens. Points d'orgue de cet attachement local, les immenses et saisissantes Peste de Tournai et Abdication de Charles Quint de Louis Gallait, auquel fait face une minuscule esquisse de Rubens. Sans parler des sculptures et des meubles anciens légués par Henri Van Cutsem, essaimés çà et là dans le musée. Devant cet étalage de richesses esthétiques, il est difficile d'imaginer que ce musée n'attire que 12 000 visiteurs par an.

Malgré le manque de moyens et le déficit d'image, les responsables du musée s'efforcent de faire vivre le lieu. Ce n'est pas tout : le chantier d'un nouveau musée, dans les cartons depuis de nombreuses années, s'annonce pour la fin de la décennie. Le bureau d'architectes fraîchement désigné devra concevoir un lieu enfin à même d'assurer une conservation pérenne des œuvres. Une fois celui-ci construit, se posera alors l'inéluctable question de l'affectation à donner au bâtiment conçu par Horta. Peu adapté aux conditions de conservation moderne des œuvres, la glorieuse bâtisse se devra de trouver d'autres fonctions plus adaptées à sa nature – le lieu jouirait d'une bonne acoustique, paraît-il. D'ici à ce futur lointain lié à l'agenda politique et économique tournaisien, les visiteurs ont encore quelques années pour contempler la splendide collection Van Cutsem dans son écrin original.

 

Musée des Beaux-Arts
3 enclos Saint-Martin
7500 Tournai

Du mercredi au lundi
De novembre à mars de 9h30 à 12h et de 14h à 17h
D'avril à octobre de 9h30 à 12h30 et de 13h30 à 17h30
https://mba.tournai.be/

 

Fabian Meulenyser