Les mille feuilles de Galila Barzilai Hollander

Estelle Magalhàes
02 novembre 2021

Le Musée Juif de Belgique présente Works on Paper, une exposition réunissant un nombre important d’œuvres tirées de la collection de Galila Barzilai Hollander. Leur point commun ? Toutes sont réalisées à partir de papier. Plus de vingt nationalités sont représentées pour un ensemble d’environ soixante créations datant majoritairement des années 2000 et 2010. À visiter jusqu’au 13 février.


Deux salles pour une grande variété d’œuvres

Outre les travaux d’artistes divers plus ou moins connus (l’un d’entre eux est même anonyme), ce sont aussi différentes pratiques artistiques qui coexistent, laissant le spectateur convaincu qu’avec du papier, tout est possible : une sculpture, un bijou, une association de portraits… et beaucoup de créations déconcertantes qui défient toute tentative de classification. Il suffit de s’arrêter devant la série de Covers des designers israéliens Neil Nenner et Avihai Mizrahi pour s’interroger. L’art de la sculpture y rencontre la conception design, conférant ainsi aux objets d’art une potentielle utilité. Lacquer Leaf Bench de l’artiste taïwanaise Pao Hui Kao surprend également : est-il possible de s’assoir sur ce banc fait de papier ?

Chaque œuvre rappelle aussi que le papier fait partie intégrante de notre quotidien et que les usages que nous en faisons sont multiples. Certains artistes entendent alors lui dérober sa nature fonctionnelle, ou bien renverser quelques-uns de ses aspects traditionnels, en le considérant plutôt comme cette matière utilisée dès le plus jeune âge pour dessiner, coller, plier, et tout simplement créer. Les bijoux de la Belge Tine De Ruysser donnent ainsi aux billets de banque qui les constituent une valeur esthétique, questionnant par-là même notre rapport à l’argent. Les pièces de l’artiste sud-coréenne Haegue Yang suscitent, quant à elles, une impression de mouvement circulaire, à partir d’un collage d’enveloppes de papier. Et les œuvres d’Anish Kapoor, Thurle Wright ou encore Jonathan Callan revisitent le livre pour une nouvelle lecture, parfois sans mots.


Le livre dans tous ses états

Objet de papier par excellence, le livre occupe en effet une place considérable au sein de l’exposition. Parmi les artistes rassemblés, plusieurs mettent à mal la représentation conventionnelle de l’objet. Si certains trouent des pages, d’autres n’hésitent pas à n’en reprendre que des phrases. Sortis de leur contexte, les fragments deviennent alors le fondement d’une œuvre nouvelle.

Tower of Babel de l’artiste américain Brian Dettmer est ainsi conçue, à la faveur d’une superposition de livres formant une spirale où les langues se rencontrent. La tour, référence à la fois au célèbre récit biblique et aux jeux d’empilement, semble trouver son équilibre, malgré une instabilité apparente. Dans Standard Deviation de Thurle Wright, ce sont aussi plusieurs couches de lecture qui sont données à voir au travers d’une composition de pages enroulées, perforées et imbriquées les unes dans les autres.

De ces œuvres, se distinguent les créations de Jonathan Callan, qui vont jusqu’à dépouiller le livre de son texte. L’objet redevient objet : simple assemblage de feuilles de papier, quittant parfois sa forme rectangulaire habituelle pour laisser la matière s’exprimer poétiquement, comme si elle était en totale autonomie. Ainsi, diverses excroissances, qui ont l’apparence de rondins de bois, poussent des livres de l’artiste. Une autre de ses œuvres donne l’illusion que l’ouvrage est entièrement fait de bois. Au travers de ce trompe-l’œil d’un réalisme fascinant, se laisse entrevoir une réflexion écologique sous-jacente où le papier retrouve son état d’origine.


Drôle d’impression

Il en va de même pour d’autres pièces, telle la sculpture de Miler Lagos, Cimiento II, qui reproduit par sa morphologie un tronçon de bois à partir de papier imprimé. Une nouvelle fois, la matière semble vouloir berner le public, s’éloigner de son aspect ordinaire, donc inciter à poser un regard neuf sur elle.

C’est également une impression étrange que suscitent les figures et photographies présentées sur un même mur d’exposition. Katia de Jérôme Zonder propose une image ambiguë : deux visages en un. À côté, des clichés découpés et recomposés par des artistes divers amusent ou dérangent le spectateur, faisant de l’art du réel le support d’un univers surréel. À l’instar de ces photos, et comme le dévoile l’exposition, la collection de Galila présente de nombreuses facettes, en même temps qu’elle ne forme qu’un seul et unique visage, celui de sa propre individualité.    

Works on Paper
Galila's Collection
21 rue des Minimes 
1000 Bruxelles 
Jusqu'au 13 février 2022
Du mardi au vendredi de 10h à 17h
Samedi et dimanche de 10h à 18h
https://www.mjb-jmb.org

Estelle Magalhàes

Journaliste

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