Dans l'espace des idées de Sol LeWitt

Gilles Bechet
02 avril 2022

Le Musée juif de Belgique propose jusque fin juillet une exposition consacrée à l'artiste américain Sol LeWitt, où l'on retrouve quelques-uns de ses fameux Wall Drawings, mais aussi des facettes moins connues de son œuvre.

Sol LeWitt restera comme un de grands créateurs et pionniers de l'art conceptuel. Tout abstrait et cérébral qu'il peut être, l'art de LeWitt est aussi un art de l'espace. Ses œuvres jouent sur notre perception physique des espaces dans lesquels elles s'inscrivent, comme on peut en faire l'expérience dans l'exposition que lui consacre le Musée juif de Belgique, à Bruxelles. Dès la première salle, le visiteur est confronté à un des Wall Drawings que l'artiste a entamé en 1968. Le Wall Drawing #368 occupe l'essentiel de l'espace. D'épaisses bandes parallèles disposées horizontalement, verticalement ou en diagonale divisent les différentes sections du mur. Ici en noir, là en rouge, en bleu et jaune, elles créent un ensemble hypnotique dont l'impact visuel varie avec la position du spectateur. Si les bandes de couleur peuvent sembler uniformes quand elles sont vues de loin, on découvre en s'approchant que la matière colorée vibre de manière presque organique. Et cela parce que la couleur est appliquée par tamponnage. Il faut dire aussi que le projet de Wall Drawings est étroitement lié au séjour de Sol LeWitt en Toscane et sa fréquentation des fresques du Cinquecento.
 

Un état d'esprit

Les Wall Drawings constituent une des matrices de l'œuvre du conceptuel américain. Chacune des œuvres - il y en a eu 1350 - existe d'abord sous forme d'idée et d'un ensemble de procédures d'exécution qui permettent de la créer en l'adaptant à tout espace où elle est mise en place. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une reproduction, mais chaque fois d'une pièce unique réalisée sur mesure.

Très vite, Sol LeWitt n'a plus participé à la création des Wall Drawings, confiant la tâche à ses assistants et à des étudiants aux beaux-arts. Les Wall Drawings du Musée juif ne dérogent pas à la règle. Ils ont été réalisés sur une période de deux semaines par 14 étudiants de La Cambre, de l'ARBA et de Sint Lucas. « Exécuter un Wall Drawing n’est pas qu’une question de savoir-faire, c’est aussi un état d’esprit. La réalisation des dessins muraux étant un projet commun, je pense que chaque stagiaire, avec sa sensibilité, a contribué à l’esprit collectif, à la bonne ambiance pendant le travail et que, par conséquent, chacun à sa manière a réellement porté le projet », explique Asia Gelin, étudiante à l'ARBA en section peinture. Le caractère éphémère de l'œuvre, qui sera détruite à l'issue de l'exposition, et le fait qu'elle n'a d'autre support que les murs mêmes de la pièce renforcent encore son immatérialité conceptuelle.

Sur un des murs libres, on pourra découvrir un document historique, une page des sentences on conceptual art rédigées par l'artiste en 1969 et achetées par Herman et Nicole Daled en 1973 pour soutenir le lancement du journal Libération. Il s'agit ici d'un fac-similé, car l'original, comme toutes les archives des mécènes et collectionneurs belges, ont été cédées au MoMa (New York).

Le Wall Drawing #138, qu'on peut découvrir à l'étage, est une autre œuvre historique, réalisée entièrement au trait cette fois et créée à partir d'une combinaison de 59 arcs, cercles et grilles. C'est aussi un des premiers dessins muraux montrés en Belgique, dans la galerie bruxelloise MTL dont les fondateurs, le plasticien et critique d'art Fernand Spillemaeckers et l'artiste Lili Dujourie, figuraient parmi l'équipe de dessinateurs qui donnèrent vie à l'œuvre.


Perspectives isométriques

Dès le début des années 1970, Sol LeWitt a eu des contacts particuliers avec les collectionneurs et galeries belges, une proximité mise en avant dans l'exposition, à travers un ensemble de courrier et aussi le travail réalisé pour l'architecte Charles Vandenhove dans son projet pour le CHU du Sart Tilman. L'artiste américain lui avait fourni divers dessins de perspectives isométriques du cube, que l'architecte a utilisés pour des lambris qui dynamisent les couloirs. Ces projets sont présentés dans un espace sculptural qui joue avec les perspectives et les dimensions en emboîtant un cube dans un cube.

Beaucoup verront au centre du très beau Wall Drawing #780, en bandes de lavis d'encre de couleur superposées, une étoile de David. Ce qu'il fallait voir comme une variation sur le motif de l'étoile à six branches. La judaïté de l'artiste qui se décrivait comme un non-croyant très très observant s'exprime de manière plus affirmée dans le projet pour la synagogue de Chester, dans le Connecticut, pour lequel il a travaillé en collaboration avec l'architecte Stephen L. Lloyd. Cette synagogue s'inspire par son toit en pente et son dôme octogonal des synagogues polonaises en bois des 17e et 18e siècles. LeWitt n'était pas tout à fait étranger à l'architecture, puisqu'avant de se lancer dans sa carrière artistique, il a travaillé comme graphiste dans le cabinet de l'architecte Ming Pei.

L'exposition se termine chronologiquement par quelques grandes gouaches des années 1990, où Sol LeWitt semble se libérer d'une abstraction géométrique pour une expression plus organique de lignes enchevêtrées comme une pelote d'énergie. Une conclusion inattendue à un parcours placé sous le signe de la rigueur et de la ligne droite.

 

Sol LeWitt
Wall Drawings, works on paper, structures (1968 – 2002)
Musée Juif de Belgique
21 rue des Minimes
1000 Bruxelles
Jusqu’au 31 juillet
du dimanche au vendredi de 10 à 17h
www.mjb-jmb.org

 

Gilles Bechet

Rédacteur en chef

Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT

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