Avec son exposition Nuages, la Maison des Arts de Schaerbeek rassemble des artistes contemporains et patrimoniaux pour explorer les humeurs de nos ciels intérieurs.
Combien de nuages a-t-on vus dans sa vie ? Combien en a-t-on regardés, un peu moins sans doute. Il y a des nuages pour tous les temps, toutes les saisons. Et pour tous les artistes comme ceux que Claire Leblanc, directrice du Musée d'Ixelles, a sélectionnés pour cet accrochage subjectif à la Maison des arts. Des artistes contemporains qui travaillent en Belgique y dialoguent avec ceux des 19 et 20e siècles issus des collections communales.
Comme à chaque fois, c'est une exposition qui habite la maison, à peu près chaque artiste disposant d'une pièce. Dès l'entrée, le nuage de Cindy Wright n'est pas celui que l'on croit, mais un trompe-l'œil qui interroge la légèreté de nos comportements avec une feuille de plastique chiffonnée. Comme beaucoup d'artistes pendant le confinement, Lucile Bertrand a eu envie de faire entrer l'extérieur à l'intérieur, en recréant un nuage en chambre. Sa poétique installation Temps suspendu rassemble des petites plumes blanches qui, comme dans un numéro de prestidigitation, flotte dans un cube de plexi n'attendant qu'un coup de baguette magique ou un coup de dé du destin pour se remettre à circuler. Dans les carnets de croquis de Jean-Marie Bytebier, les nuages deviennent l'essence même de la peinture et de la représentation. Tel un arpenteur de l'intérieur, il crée des ciels en quelques touches d'aquarelle, des ciels somptueux et symphoniques sur une petite page de papier blanc. A l'étage, il change d'échelle avec ses instantanés d'éternité, des toiles acryliques qui nous laissent entrevoir ce qu'on ne peut voir que par la peinture. On perçoit l'influence des grands maîtres du passé et, en même temps, c'est complètement moderne.
Dans le grand salon aux nuages, la présence de Jacqueline Mesmaeker est discrète. Dans une petite vidéo, elle envisage avec malice la vision que l'on aurait des antipodes si l'on traverserait la Terre de part en part plutôt que de la contourner par la voie des airs. Quand on traverse un nuage en avion, on a du mal à distinguer l'intérieur de l'extérieur. Une fois que l'on glisse dedans, le nuage a perdu toute forme et toute consistance. Tatiana Wolska a installé dans la bibliothèque un nuage fait de branches, fragile et organique, que l'on traverse, les pieds sur terre comme on parcourt une charmille.
L'histoire de l'art est pleine de nuages, de toutes les formes et de toutes les couleurs. L'Espagnole Cristina Garrido en fait un nuancier. L'histoire de l'art ramenée à un alignement d'échantillons pose avec ironie la question de ce que l'on regarde réellement quand on arpente les salles d'un musée où les chefs-d'œuvre qui se succèdent se réduisent à la longue à des surfaces de toile peinte. Il est aussi question d'échantillon avec l'intrigante toile en trompe-l'œil de Ritsart Gobyn qui se souvient du tapis nuageux de Caspar David Friedrich. Le duo Brognon Rollin opère, comme à son habitude, un dérèglement poétique du réel. Dans les pavés réservés dans la presse aux encarts publicitaires et aux annonces, voilà qu'apparaît un nuage qui vit et disparaît en cinq images. Une trajectoire fugace dispersée au gré des publications. Bien mieux qu'un bulletin météo, c'est une image sans poids, sans valeur marchande, qui nous donne des nouvelles du ciel. Comme si, en ouvrant le journal, on ouvrait la fenêtre vers un ailleurs.
Marie Rosen nous invite dans son univers onirique de faux-semblants où il n'y a pas que les nuages qui flottent. Avec une rigueur toute géométrique, c'est un monde qui nous semble rassurant jusqu'à ce que l'on se rende compte que le sol se dérobe sous nos pieds. Toujours surprenant et déstabilisant, le travail de Stephan Balleux change de forme et de médium dans une grande cohérence. Comme une ombre dont on ne saurait se défaire, une forme nuageuse apparaît dans la chambre à coucher, dans la bibliothèque ou au-dessus de l'escalier. De la peinture à l'intervention sur les vieilles gravures, le dessin, la vidéo ou le bas-relief, cette présence vaguement menaçante pose la question de la présence même du spectateur.
Un moelleux nuage au crochet, une dentelle de fils noirs qui s'effiloche au-dessus d'une cheminée d'usine, Elodie Antoine crée un sentiment d'intimité et de familiarité avec ses sculptures textiles qui redessinent nos paysages quotidiens.
Dans la dernière salle, Joke Hansen joue avec les limites du cadre, découpant sa matière picturale et visuelle avec humour comme une bricoleuse pop. Distillées avec parcimonie dans le parcours, quelques toiles sélectionnées dans les collections communales schaerbeekoises se rassemblent pour un dernier feu d'artifice atmosphérique. Nuage de plaisance ou de campagne, nuages d'usine, nuages mythologiques ou nuages de guerre, c'est la mise en scène, d'une matière émotionnelle avec ses coups de théâtre et de ses jeux de lumière.
Nuages d'hier et d'aujourd'hui
Maison des Arts
147 chaussée de Haecht 147
1030 Bruxelles
Jusqu'au 21 novembre
Du mardi au vendredi de 11h à 17h
Samedi et dimanche de 11h à 18h
www.lamaisondesarts.be
Réservation obligatoire ici ou au 02/240 34 99
Rédacteur en chef
Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT
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