Rétrospective en trois tableaux pour un artiste franco-britannique rarement exposé en Belgique, qui a été précurseur de l'art du soi et a traversé 4 décennies comme un discret dandy.
Marc Camille Chaimowicz est un artiste de l'espace intime. Pour lui, aménager son espace quotidien est un acte de création, au même titre qu'un dessin ou une sculpture. Représenter son espace de vie tient donc de l'autoportrait. Né à Paris, il a grandi à Londres où il a fait des études artistiques et où il vit toujours. Partagé entre deux cultures, il se sent britannique en France et français en Angleterre. À contre-courant artistique, échappe aux étiquettes du moment, revendiquant plutôt l'ambiguïté dans l'exploration du genre et de l'identité.
Son exposition au WIELS est conçue comme un parcours en trois étapes. Après quelques pas dans la première pièce, on perd ses repères visuels. On n'a plus l'impression d'être dans un musée. C'est plutôt comme si on glissait dans un songe ou un souvenir. Les lumières sont baissées. Quelques souvenirs d'une fête. Les guirlandes de lumières colorées, qui serpentent à même le sol au milieu de ces objets épars, se reflètent dans la boule à facettes. Bowie, les Stones ou les Who passent en boucle.
Celebration ? Realife Revisited (1972- 2000) est la reprise d'une des premières œuvres de l'artiste. Réalisée en 1972, dans le sillage des remises en questions de Mai 68, elle restitue le cocon intime et rêvé de son appartement, dans lequel il s'abrite du monde extérieur en écoutant du rock et en baissant les lumières. Sur la scène artistique, on était au minimalisme, voire au pop-art, et les installations de ce genre étaient plutôt rares. Pris à froid, le public de l'époque ne savait pas trop que penser de cette esthétique « décorative » qui happe le spectateur sans rien revendiquer en dehors d'elle-même. Par la suite, tous les éléments de cette installation ont été rangés dans une valise pour n'en sortir une première fois qu'en 2000 à l'occasion d'une exposition en France.
Est-ce parce qu'elle est restée si longtemps à l'abri des regard ou à cause de son absence d'ostentation que cette installation s'insinue en nous avec la persistance d'une image rétinienne.
Avec The Hayes Court Sitting Room (1979-2023), l'artiste a reconstitué le salon de son appartement londonien, qu'il a occupé pendant 40 ans et pour lequel il a conçu des papiers peints, des tissus. Pour créer l'illusion, il a ramené de chez lui des objets et des éléments de mobilier, reproduit des taches de café ou éparpillé quelques pétales fanés tombés des bouquets. Le tout est présenté sur une petite estrade comme dans un salon du mobilier. L'artiste joue à faire semblant sans pour autant vouloir nous duper car, au dos des panneaux, il a accroché une série de photos. Dans une esthétique proche du roman photo, on voit des moments de vie d'un jeune couple à qui il a demandé d'habiter son appartement et d'enfiler ses vêtements.
En octobre 2020, pendant la période du confinement, Marc Camille Chaimowicz s'est lancé dans une série de collages librement inspirés par Madame Bovary. Confinée chez elle, l'anti-héroïne de Gustave Flaubert était prisonnière des conventions étriquées de son époque comme lui l'était par la menace de la pandémie. La littérature devenant un autre filtre pour évoquer la vie réelle. Pas question cependant pour lui de restituer l'intrigue ou les personnages du roman, mais plutôt des éclats comme une figure fugitive que l'on apercevrait dans un miroir. Ses collages évoquent les rêveries d'Emma qu'il faisait siennes. Il passe de la fascination pour les produits de luxe à l'attrait pour les voyages lointains ou à une page d'herbier qui le ramène en enfance. Des images qu'il envoyait par la poste, deux fois par mois, à la curatrice Zoé Gray. D'où le titre de la série, Dear Zoé.
C'est Marc Camille Chaimowicz qui a conçu la scénographie, avec ses lutrins accrochés aux colonnes comme une invitation à la déambulation. Il y a chez cet artiste la légèreté et la profondeur qui font le dandy. L'extrême sensibilité associée à la désinvolture et l'air de ne pas y toucher.
Marc Camille Chaimowicz
Nuit américaine
WIELS
354, avenue Van Volxem
1190 Bruxelles
Jusqu'au 23 août 23
Du mardi au dimanche de 11h à 18h
www.wiels.org
Rédacteur en chef
Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT
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