Ode à l'odalisque post-moderne

Muriel de Crayencour
19 septembre 2014

Roland Delcol commence à peindre dans les années 1960. C’est alors encore révolutionnaire de montrer une femme nue au milieu de personnages vêtus dans un tableau. Or, rien d’autre ne l’intéresse. Il dessine, grave et peint le corps nu de femmes, des modèles qui posent pour lui.

Cette chair, cette peau, cette posture, la rondeur, la grâce, le regard, la chevelure, tout cela est mis en scène par l’artiste dans des compositions imaginaires. Delcol se dit l’héritier de Manet avec son Déjeuner sur l’herbe et son Odalisque. Il s’inscrit dans l’Histoire de l’art après toutes les propositions d’odalisques de Ingres à Matisse. On le comprend : il aime alterner le nu et le vêtu, la peau et le textile. Les personnages de ses toiles ne sont pas impudiques. Ils ne sont pas gênés ni honteux. Ils sont juste là. A la fois incongrus et naturels.

Ici, autour d’une table, une mère, âgée, et un jeune garçon. Entre eux deux, une femme nue à la poitrine sensuelle. Là, dans un paysage à la manière du Douanier Rousseau, une méridienne sur laquelle repose une odalisque nue dont le regard fuit vers la droite. Dans un autre jardin, sorte de paradis terrestre composé de diverses plantes exotiques, une jeune femme nue est assise, souriante et coquine, face à un homme qui ne lui prête aucune attention. De nouveau, au milieu d’une composition imaginaire, l’artiste déploie les éléments de sa mythologie personnelle, dans laquelle le corps tendre et doux d’une jeune femme est central. Ce n’est pas impudique. C’est. Et c’est servi par une technique parfaitement maîtrisée.

Son savoir-faire exceptionnel le rend d’ailleurs incroyablement actuel, tant on sait qu’émergent aujourd’hui de nombreux artistes dont la maîtrise picturale les rend proches des grands maîtres. Il n’est plus honteux de savoir peindre !

Ces femmes nues, il les dessine et les peint sans jamais les prendre en photo. Pourtant la composition est travaillée, imaginée, c’est un patchwork qui voit le jour. Exposé en 2012 au Musée d’Ixelles, cet hyperréaliste post-moderniste est cité dans les écrits de Breton, Bataille, Gilles Deleuze mais aussi dans un roman de Frédéric Dard et une chanson de Pierre Perret.

Roland Delcol est un peintre bruxellois né en 1942. Il a été exposé à la Galerie Isy Brachot, de 1969 à 1977. Il a vécu à Florence une dizaine d’années. A failli rencontrer Fellini. Fut l’ami du poète Louis Scutenaire. A peint un Mr Propre 30 ans avant Wim Delvoye. Et aujourd’hui, Delcol revient de loin. Avec beaucoup de pudeur, il raconte sa descente aux enfers d’il y a quelques années et comment il remonte aujourd’hui la pente par la création. “Je ne sais faire que peindre”, dit-il, “Peindre, c’est comme une diarrhée." Il raconte aussi  avec émotion comment, tout jeune homme, il quitte des études d’ingénieur commercial et se met à peindre. “Ma femme a été mon mécène.”

Au début des années 1980, Irène Hamoir, l'épouse de Louis Scutenaire, confirme le peintre Roland Delcol comme peintre post-moderniste: "Il s’intéresse par-dessus tout à la peinture. De plus il sait peindre. Sur ses toiles, insoucieux du temps et de l’espace, il provoque des rencontres de personnages, de femmes surtout, de cette époque-ci avec d’autres de ces époques-là ; les paysages et les choses se télescopent ; ses couleurs le plus souvent sont roboratives ; cela dans une mise en page qui, malgré les années qui passent et passent, ne perd rien de son poids. Son ambition est que l’unique objet de sa passion soit perçu par les meilleurs comme une œuvre de prix. Il est transparent. Derrière Roland Delcol il n’y a que le peintre Delcol.R."

L’Ordre nu
Roland Delcol
Galerie Emilie Dujat
69 rue Defacqz
1060 Bruxelles
Jusqu’au 24 octobre
Sur rendez-vous
http://www.galerieemiliedujat.com/

 

 

Muriel de Crayencour

Fondatrice

Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.

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