L'immense sculpteur Ousmane Sow nous a quittés le 1er décembre 2019. En mai de cette même année, durant la Biennale de Dakar, de manière presque fortuite, nous avons eu l'occasion de le rencontrer chez lui. Parfois, le travail de journaliste passe au second plan et l'interview devient un échange profond et émouvant entre deux humains.
Né à Dakar en 1935, il perd son père à 20 ans. Ce décès sera pour lui le signal du départ. Sow part vers Paris sans un sou en poche. Il exerce plusieurs petits métiers avant de devenir kinésithérapeute. Sow sculpte depuis toujours mais c'est à 50 ans qu'il renonce à son travail de kiné pour devenir artiste à temps complet. Il expose en 1987, au Centre culturel français de Dakar, sa première série de lutteurs Nouba, à l'initiative de l'ambassadeur de France de l'époque Jean-Christophe Rufin, qui est tombé en arrêt devant son travail. Sow exposera ensuite à la Documenta de Cassel en 1993, à la Biennale de Venise en 1995 et en 1999, sur le Pont des Arts, où ses lutteurs prendront une ampleur exceptionnelle sous le ciel de Paris. Il rentrera à Dakar à 50 ans et s'adonnera uniquement à la sculpture.
Ses grands lutteurs de style naturaliste, de taille immense, aux muscles saillants, à l'ossature prégnante, vont se développer en plusieurs séries : les Noubas, les Massaïs, les Zoulous, les Peuls et, plus tard, dans la cour de la maison qu'il s'est fait construire à Dakar, la bataille de Little Big Horn. Ensuite, il projette de créer un musée des grands hommes dans lequel on retrouverait Victor Hugo, Mandela, Rosa Park, Gandhi, de Gaulle et... son père. A partir de 2001, il confie ses sculptures aux Fonderies de Coubertin, qui les réalisent en bronze.
Le 11 décembre 2013, il est le premier artiste plasticien noir à entrer à l’Académie des Beaux-Arts de Paris, le second sous la Coupole depuis l’entrée de Léopold Sédar Senghor à l’Académie française. Ousmane Sow voulait créer un art africain qui ne soit pas une nouvelle version de l'art occidental. Il est l'un des rares artistes de sa génération à avoir trouvé un style à la fois personnel et profondément ancré dans sa culture.
Pourquoi êtes-vous parti vers Paris ?
Ousmane Sow.– Je suis parti à la mort de mon père. Il fallait que je fasse une coupure pour supporter le chagrin.
Pourquoi avez-vous commencé à sculpter ?
Je sculpte depuis que je suis enfant. A Paris, je sculptais le soir, par plaisir. Il ne faut pas rester une journée sans plaisir. Sculpter, ça me libère. Notre lot, c'est de faire honnêtement ce qu'on a à faire. Quand on se donne du mal à faire quelque chose, le résultat doit être compréhensible. Je commence toujours par la tête. Et j'ajoute de la matière : mousse, terre, paille et des mélanges secrets.
Pourquoi passer au bronze à partir de 2001 ?
Chacune de mes sculptures porte un de mes souvenirs. Vendre les originaux, ça me fait mal. Travailler avec les Fonderies de Coubertin en France a résolu mon problème.
Gardez-vous des œuvres dans votre maison ?
Oui, une seule : Mon Père.
Une jeune femme me guide dans les couloirs de cette maison labyrinthe. Sur la terrasse couverte, après une table et quelques chaises, une immense silhouette de plus de trois mètres de haut. La tête touche le plafond. Puissant, immense, tranquille, posé là, l'effigie de ce père que l'artiste a perdu il y a près de 60 ans se passe de commentaire. Elle impose une présence extraordinaire, frontale, directe, sans fioritures et pleine d'amour. Ousmane Sow, ce vieux monsieur de 81 ans, vit chez lui avec cette représentation de son père, qu'il aime encore. On peut aimer un père disparu depuis six décennies. Ce constat me bouleverse.
La visite au dernier étage de la maison nous entraîne dans une toute petite salle, sorte de cabine de pilotage d'un navire qui voguerait sur les toits et les routes jaunes de Dakar. C'est dans ces quelques mètres carrés qu'Ousmane Sow crée. Il démarre toujours par les yeux puis la tête. Les muscles des joues, les lèvres, les tendons et ligaments sont ajoutés un par un, faisant naître d'une structure fixe et précise un corps vibrant dans lequel semble battre un cœur. Celui d'un homme debout. Monsieur Sow, merci pour cet intense moment de partage.
Fondatrice
Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.
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