Alors que l’esprit des grandes vacances touche doucement à sa fin, le Hangar Photo Art Center prolonge la mélancolie balnéaire avec Borderline, la dernière série du photographe belge Paul D’Haese. Le portrait photographique d’une tranche de littoral du Nord de la France. S’en dégage une ambiance douce-amère qui reflète les complexités de cette zone frontière entre le large et le bâti, entre le sable et le béton, entre l’ici et l’ailleurs.
Architecte devenu photographe, Paul D’Haese capture sans relâche les espaces et les volumes. L’œil aimanté par l’apparition possible de nouvelles perspectives. Son travail récent reflète son goût pour le dialogue entre le bâti et le paysage, si possible dépouillé de toute présence humaine. Belgopolis (2016) ou Building an imaginary city (2017) cumulent les vues urbaines aux lignes implacables, d’un réalisme criant, frôlant parfois la frontière de l’étrange.
Saisie entre 2016 et 2020, Borderline prolonge cette réflexion visuelle en 170 photographies. Capturées au fil des 350 kilomètres qui relient Bray-Dunes au Havre, elles racontent à leur manière l’histoire plurielle et contrastée de la cinquantaine de villes et de villages traversés par le photographe voyageur. Urbanisation sauvage, tourisme à tous les étages, cicatrices de la Seconde Guerre mondiale, barbelés des camps de réfugiés aux alentours de Calais… ne cessent de décliner la notion d’entre-deux. De jouer avec les limites.
Villas silencieuses aux volets clos, maisons hétéroclites aux pignons asymétriques, boulevards délaissés, volées d’escalier tombant droit dans la mer ou parkings déserts rongés par les embruns… la série défile comme autant de cartes postales un peu désenchantées et volontairement décalées. Un envers du décor troublant, à rebours de l’imagerie que l’on associe traditionnellement au littoral. Paul D’Haese saisit la beauté de l’insignifiant (un tas de pneus en équilibre, le dessin des câbles électriques dans le bleu du ciel) et les flagrants délits de l’absurde, comme ce bateau de pêche incongru sur les pelouses d’un jardin. Sans se départir d’une sensibilité marquée pour la poésie du quotidien. Parmi les quelques pépites du genre, on retiendra la photographie d’un bloc d’immeuble qui se reflète dans le miroir ovale d’une flaque d’eau, avec un rare sens de la composition.
L’esthétique de Paul D’Haese se situe quelque part entre l’antipittoresque de Raymond Depardon et les paysages étranges et immuables d’Edward Hopper. En confrontant fantasme et réalité, il saisit la côte du Nord de la France sans fioriture. Quoique dépourvue de toute présence humaine, Borderline ne fait pourtant que parler de notre rapport au paysage, un paysage que l’on conquiert, que l’on contrôle et que l’on modèle à notre image. Pour le meilleur et pour le pire.
Paul D'Haese
Borderline
Hangar Photo Art Center
18 place du Châtelain
1050 Ixelles
Jusqu'au 24 octobre
Du mardi au samedi, de 12h à 18h
https://www.hangar.art/
Journaliste
Historienne de l’art avec un goût prononcé pour l’art contemporain, Mylène Mistre-Schaal est collaboratrice régulière pour le magazine culturel Novo. Elle écrit également pour le city-magazine français ZUT et pour la revue Hermès. Co-autrice du livre L’Emprise des Sens aux éditions Hazan, elle s’intéresse tout particulièrement aux rapports sans cesse renouvelés entre l’art et les cinq sens.
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