Avec cet ambitieux événement qui rassemble, à la Centrale, au Botanique, chez Arts et marge et à la Tiny Gallery, des expositions et de multiples activités et rencontres, Bruxelles se met à l'heure de la photo brute autour de la plantureuse collection de Bruno Decharme.
L'art brut est une passion, pour le collectionneur Bruno Decharme, fondateur de la Galerie abcd-art brut à Paris. Un univers aux frontières mouvantes dont il rassemble œuvres et objets depuis plus de quarante ans. « En tant que collectionneur, c'est d'abord le choc esthétique de l'œuvre qui m'intéresse, et ensuite seulement l'histoire de l'artiste. » A l'occasion d'un classement, il a pris conscience que la photographie y occupait une place importante et singulière, jusque-là peu explorée. C'est ce qui a donné naissance à l'expo Photo / Brut présentée aux Rencontres d'Arles en 2019, puis à New York. A l'initiative d'Anne-Francoise Rouche, fondatrice du Centre d'art La « S » Grand Atelier à Vielsalm, et de Bruno Decharme, Photo / Brut est devenu un projet bruxellois qui se décline en différents lieux, ainsi qu'en workshops, journées d'études et publications inédites.
Dédale de la pensée
L'exposition Photo / Brut #1, présentée à la Centrale, puise dans la sélection proposée à Arles. Dans ce vaste ensemble d'images hétéroclites et fascinantes, on ne peut que progresser à l'intuition, à l'attraction, pour trouver son sens et son chemin dans un parcours labyrinthique qui fait écho au dédale de la pensée. Peu de noms connus ou de références artistiques ou stylistiques reconnaissables, il n'est donc pas facile de trouver une ligne directrice. Peut-être est-ce le recours à la photographie sans se réclamer d'une supposée objectivité sur le réel. Chaque image devient la projection d'un espace intérieur. C'est parfois vrai, mais pas toujours. C'est alors majoritairement le travail d'artistes autodidactes, qui ont travaillé en marge des circuits artistiques conventionnels.
Grâce à son effet de réel, la photo devient un outil, plus saisissant encore, pour dissimuler ou fuir ce réel. Surgissent alors des histoires d'apparitions, des spirites aux soucoupes volantes ou aux stars hollywoodiennes que ce photographe anonyme capte sur l'écran de sa télévision. Déesses inaccessibles, il note leurs mensurations sur le tirage comme pour s'assurer qu'elles sont bien faites de chair. Le trouble que suscite une apparition vient de ce qu'elle se manifeste souvent dans un contexte quotidien et familier. Comme avec Marcel Bascoulard. Devenu SDF à Bourges après le meurtre de son père par sa mère, il s'est fait photographier tout au long de sa vie par des amis et passants, habillé en femme comme s'il surgissait au coin d'une rue dans sa jupe bouffante.
Avec les photos du Tchèque Miroslav Tichy, on est témoin d'apparitions d'un autre monde sous le calque du réel. Un monde flottant où décors et personnages s'imbriquent les uns dans les autres comme un mille-feuilles de particules sensibles. Le travestissement est une forme d'apparition, une autre identité qui se révèle par le filtre de la photographie, comme dans les autoportraits de Tomas Machcinski, qui se réinvente en homme ou femme politique ou en personnalité historique. Le trouble sexuel n'est jamais loin non plus avec les autoportraits de cet artiste anonyme, qu'on a baptisée Zorro en raison de sa prédilection pour les cuissardes lacées et le fouet.
Au Botanique, Photo / Brut #2, complète la première exposition en mettant l'accent sur des œuvres d'artistes belges, notamment soutenus par La « S » Grand atelier. Les œuvres qu'on y découvre abordent souvent la photo comme support de collages ou d'interventions graphiques ou picturales qui participent à une lecture du corps et de l'intime.
Dominique Théate fait émerger de ces images lisses et policées les ricanements de ses démons intérieurs. Peindre sur des photos extraites de magazines est une manière de se les approprier ou de tenir leurs mensonges à distance.
Elke Tangelen saisit du fil, des perles et parfois même des plumes pour pirater des chromos religieux et des photos de famille dans un acte de hacking artistique.
Séverine Hugo, qui fréquente La « S » Grand Atelier, aborde les photos trouvées avec prudence et circonspection, traçant sur ces images des cercles à la gouache qu'elle appelle ses « anneaux de Saturne », créant une tension et une réalité alternative.
Avec Dirk Martens, le collage devient une forme de narration où la photo participe au développement de projets imaginaires et improbables où les neuf boules de l'Atomium symbolisent les neuf mois de la grossesse.
Pour terminer, un petit mot l'affiche de l'événement. Si la photo de Jorge Alberto Hernandez Caldi est puissante et intrigante, voire dérangeante, et totalement représentative du contenu des expositions, elle ne joue peut-être pas le rôle que devrait jouer une affiche d’exposition. Placardée sur les murs de la ville ou dans les stations de métro, elle devrait donner envie au chaland de venir découvrir l’exposition. Hors contexte, cette image qui montre un visage fermé, aux yeux noircis et à la bouche cousue, peut être perçue comme inquiétante et même sinistre pour certains. Le contraire d'une invitation.
Deux journées d'études sont organisées autour du concept de l'art brut :
27 et 28 janvier
CIVA
55 rue de l'Ermitage
1050 Bruxelles
Réservations via le Botanique
Photo / Brut #1
Centrale for Contemporary art
place Sainte-Catherine, 44
1000 Bruxelles
jusqu'au 19 mars
Du mercredi au dimanche de 10h30 à 18h
www.centrale.brussels
Photo / Brut #2
Botanique Museum
rue Royale, 236
1000 Bruxelles
jusqu'au 19 mars
Ouvert du mercredi au dimanche de 12h à 20h
www.botanique.be
Rédacteur en chef
Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT
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