Luc Praet, Guillaume Lemarchal, Harald Fernagu, Anaïs Marion, Lucas Leffler, Damien Caccia : six artistes investissent les impressionnants espaces du centre d'art Eleven Steens à Saint-Gilles. Leurs travaux très différents les uns des autres font écho, chacun à leur manière, à la notion de « cinéma intérieur » développée par le neurologue Lionel Naccache.
Selon ce dernier, nous ne captons de notre environnement visuel que treize images fixes par seconde, que notre cerveau organise ensuite les unes par rapport aux autres pour percevoir le réel. La photographie devient alors un moyen de ralentir notre rapport au monde en nous concentrant sur une œuvre, celle-ci n’étant pas seulement le produit du travail de l’artiste mais aussi le résultat de son interprétation par les yeux du spectateur. Chaque relation entre la photographie, le photographe et l’observateur est donc unique et remet en cause en permanence notre rapport sensible à la réalité qui nous entoure.
La pratique de Luc Praet est très directement liée à ces enjeux, puisqu’il travaille sur l’histoire de l’art et les traces qui en restent dans notre mémoire. Il photographie ainsi des œuvres, puis altère et modifie manuellement les tirages obtenus pour questionner notre subjectivité et mettre en avant l’expérience sensible de notre perception. Les sources se brouillent, les origines disparaissent, les temporalités et les matérialités se lisent de manière subtile et complexe dans ces images abstraites et lumineuses.
Lucas Leffler propose de son côté une expérience physique globale en réalisant un grand format constitué de dix panneaux d’acier de couleur ocre et dont le traitement plastique diffère pour chacun d'entre eux. Notre vision traite ainsi plusieurs informations à la fois, celles-ci étant non hiérarchisées et collées les unes aux autres pour former un tout, tandis que les matières des différentes plaques provoquent une empathie corporelle chez les spectateurs.
Guillaume Lemarchal réalise quant à lui des cyanotypes qui déplacent notre point de vue sur les Etats-Unis d’aujourd’hui. L’artiste place les cibles de la National Rifle Association américaine, qui défend l'usage des armes à feu, sur des images de paysages américains ou sur des photographies de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. Notre regard se trouble alors et notre position bouge : l’objectif de l’appareil photo est-il une arme ? Nous apprêtons-nous à tirer ? Et qu’est-ce qui se trouve réellement dans notre viseur ?
Anaïs Marion nous parle aussi de paysages, d’histoire, d’actualité et de mémoire à travers son amour pour la marche et son intérêt pour les blockhaus qu’elle rencontre sur sa route. En mettant son propre corps en relation avec ces monuments de béton, elle interroge leur usage actuel, leur présence et leur rôle dans un environnement qui évolue et nous invite ainsi à regarder différemment ce qui reste et ce qui change autour de nous.
Harald Fernagu nous invite également à changer de perspective sur ce qui nous entoure en tirant le portrait de compagnons d’Emmaüs vêtus d’uniformes militaires. Loin du voyeurisme ou de l’exotisme, l’artiste parvient à décaler les représentations habituelles de la pauvreté pour s’éloigner des clichés et des préjugés. Il redonne de la dignité à ses modèles qui deviennent des personnalités historiques ou des personnages de théâtre et offre ainsi la possibilité de raconter plusieurs histoires en donnant de la place et de la liberté à l’imagination.
Enfin, Damien Caccia joue avec les dimensions en proposant des photographies miniatures de quelques dizaines de millimètres. L’artiste transforme l’expérience du visiteur qui doit s’approcher, se pencher pour percevoir la poésie et l’intimité de ces images au carrefour de la diapositive et de la trouvaille archéologique. Un visage, l'angle d'une pièce, un objet... Chaque tirage transmet tout un univers et propose au visiteur une expérience individuelle singulière.
Photobrussels festival
Eleven Steens
rue Steens 11
1060 Bruxelles
Jusqu’au 12 mars
Samedi et dimanche de 14h à 18h
Eleven Steens
Journaliste
Après une formation en danse classique et contemporaine au conservatoire et des études à Sciences Po, elle s'installe à Bruxelles pour se consacrer à la danse et à la chorégraphie. Journaliste pour le site Mu in the city et le magazine Mouvement, elle s'empare de l'écriture pour partager son goût pour toutes les formes de création contemporaine et sa conviction que l'art a le pouvoir de changer la petite et la grande histoire.
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