Que vive la nature morte !

La nature morte est de retour ! Il n’y avait plus eu d’exposition sur ce thème en Europe depuis celle proposée par le Musée des Beaux-Arts de Bilbao en 1999. Et c’est Bozar qui continue de nous émerveiller en remettant au goût du jour ce genre colossal de l’histoire de l’art, encore trop souvent méconnu.

Spanish Still Life balaie près de 400 ans d’évolution de nature morte espagnole et revisite l’approche du genre grâce à une sélection minutieuse de près de 80 tableaux, que l’on doit à Àngel Aterido - docteur en histoire de l’art et spécialiste de la nature morte espagnole. Parmi eux, des toiles de grands-maîtres espagnols : Velasquez, Goya, Picasso, ou encore Dali. Tous explorent, au fil des siècles, les possibilités artistiques de ce genre, souvent qualifié à tort de genre décoratif. Et pour cause, les compositions recèlent quantité d’objets inanimés : mets, fruits, fleurs, gibiers, plats, verreries, scènes de cuisine... Il faut pourtant regarder à deux fois les compositions pour ne pas passer à côté de la dimension symbolique et des nombreux messages moralisateurs ! Reconnue comme genre à part entière dès le XVIIe siècle, la nature morte prend son essor en Europe dans les foyers flamands et italiens avec des peintres tels que Jan Brueghel et Giuseppe Recco. Les échanges artistiques sont alors très florissants et le genre est propulsé jusqu’en Espagne. Très vite, les peintres espagnols se l’approprient et développent un langage visuel unique. On parle de nature morte en français, de still life en anglais et les Espagnols, eux, nommeront cela bodegone.

L’exposition est construite autour de quatre groupes thématiques et chronologiques. Nous entrons dans la première salle qui nous transporte jusqu’à Tolède, là où Juan Sánchez Cotán réalise l'une des premières natures mortes espagnoles, autour de 1602. Le concept est novateur. Les fruits et légumes sont disposés à l’intérieur d’un encadrement, sur un fond entièrement noir, avec une très grande sobriété et un souci du détail remarquable. C’est la première fois que les objets apparaissent comme les protagonistes d’une toile. Il y a toute une dimension philosophique qui se dessine derrière, avec l’idée de vivre sa vie simplement.

Plus loin, une œuvre de Velasquez célèbre les bodegones. Ce terme désigne à l’origine les tavernes des bas quartiers, peuplées par les Bodegonero, les aubergistes. Velasquez se spécialise dans la représentation de ce genre et va même jusqu’à le complexifier en ajoutant des scènes religieuses à l’arrière-plan de ses toiles. Un préambule à la composition des Ménines ? Peut-être !

Les vanités sont elles aussi mises à l’honneur. Bijoux, livres, fleurs, armes : les compositions sont emplies d’objets luxueux qui soulignent par leur présence le célèbre Memento Mori. La mort étant une certitude pour chacun, la délectation des biens terrestres devient une futilité. Là encore, impossible de résister aux incroyables jeux de lumière mis en exergue par la finesse de représentation.

Nous traversons les XVIIIe et XIXe siècles, où le goût académique domine, pour arriver jusqu’au XXe siècle, où se côtoient les écoles de la modernité. Nature morte en plusieurs facettes pour Pablo Picasso. Tumulte chromatique pour Joan Miró. Et nature morte presque rêvée pour Benjamin Palencia. Pas de doute, la nature morte est intemporelle !

Et si vous voulez tout de même faire un saut dans le temps, le Palais des Beaux-Arts propose tout au long de l’exposition des concerts de musique espagnole du XVIIe siècle. Au programme, un concert du contre-ténor Carlos Mena, ce soir dans la salle Henry Le Bœuf, et un concert d’Eduardo Egüez, à la guitare baroque et luth, le 11 avril.

Après cette première très réussie à Bozar, l’exposition s’envolera au Musei Reali di Torino du 22 juin au 30 septembre.

 

Spanish Still Life
Bozar
23 rue Ravenstein
1000 Bruxelles
Jusqu'au 27 mai
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
www.bozar.be

 

Caroline Razafimanantsoa

Secrétaire de rédaction - responsable réseaux sociaux

Diplômée en histoire de l’art de l’université Paris-Nanterre et titulaire d’un master complémentaire en diffusion des œuvres d’art contemporain de l’IESA, c’est la benjamine de l’équipe. Arrivée en 2017, elle est aujourd’hui assistante de rédaction. Elle écrit régulièrement sur les expositions qui ont attisé sa curiosité. Avec un petit penchant pour l’art contemporain et les arts émergents.

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