Quête de sens ou quête d’argent ?

Muriel de Crayencour
05 septembre 2014

En mai de cette année 2014, des oeuvres d‘Andy Warhol, Gerhard Richter et Jeff Koons ont été adjugées chacune pour plus de 25 millions de dollars lors d’une vente chez Sotheby’s. Les grosses pointures de l’art contemporain comme Andy Warhol, Gerhard Richter, Francis Bacon, Jean-Michel Basquiat, Mark Rothko, Jeff Koons, Lucian Freud ou Jackson Pollock ont vus leurs prix  augmenter de 300% à 400% entre 2000 et 2012.

Depuis 2000, la raréfaction dans certaines catégories comme les impressionnistes a diminué l’offre et provoqué un glissement des ventes vers la catégorie la plus disponible: l’art contemporain. Il n’y a pas de difficultés à obtenir rapidement un très beau Warhol. Le collectionneur d’aujourd’hui n’hésite pas à payer cher un peintre actuel promu par les galeries ou les salles de vente au réseau planétaire et qui savent parfaitement le jeu qu’elles jouent. Le paramètre des valeurs est totalement décalé entre l’art contemporain et les anciens.

C’est ce que pointait Wim Delvoye lorsque nous l’avions interviewé en 2012 lors de son exposition au Louvre : « L’art contemporain est le grand vainqueur, aujourd’hui. C’est une mode, c’est vrai. Mais même Le Louvre a besoin de l’art contemporain. Vous vous rendez compte ? L’art contemporain est à la mode. C’est assez effrayant, cette culmination. Que va-t il se passer, après ? Je me prépare pour une situation normalisée où l’art contemporain aura repris sa place parmi les autres époques. Avec l’argent de la vente d’une petite œuvre, j’ai pu acheter tout le catalogue d’une salle de vente : des meubles anciens du 15ème et  du 16ème s. ! Je trouve ça incroyable et scandaleux, que ces meubles soient aussi bon marché ! »

Artistes belges

Artprice donne chaque année le pouls du marché international de l’art contemporain, à travers l’examen des résultats des ventes aux enchères. En 2013, la liste reprenait les 500 artistes contemporains qui se sont le mieux vendus dans le monde entre juillet 2012 et juin 2013. Les Etats-Unis et la Chine sont en tête. En Europe, la Belgique se place en quatrième position, avec 6 artistes: Luc Tuymans, Francis Alÿs, Michaël Borremans, Wim Delvoye, François Schuiten et Jan Fabre.

Première constatation: on se plaint souvent que les artistes belges ne sont pas bien défendu dans leur pays. Or, Tuymans a eu droit à une très belle rétrospective au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en 2011. Michaël Borremans est encore aux cimaises au même endroit, jusqu’au 3 août. Francis Alÿs a eu droit au Wiels en 2010. Schuiten à la Bibliotheca Wittockiana il y a quelques mois. Wim Delvoye a peuplé les appartements Napoléon III du Louvre en 2012. Fabre est installé à demeure sur un des plafonds du palais royal et dans un des escaliers des Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles. Ce sont donc plutôt les artistes moins connus qui n’ont pas ou très peu l’occasion de présenter leur travail au public.

Un bon investissement ?

En mai 2014, la journaliste Isabelle Dykmans écrivait dans L’Echo « Acheter de l’art pour diversifier son patrimoine a du sens. Certaines catégories d’art peuvent en effet être considérées comme des achats de « bon père de famille ». Mais attention, le coup de foudre esthétique doit précéder tout investissement. Investir dans la seule perspective de réaliser une plus-value financière serait même antinomique avec le fait d’acheter de l’art. (…)Mais l’art reste trop subjectif, trop sujets aux effets de mode, trop illiquide, et surtout trop passionnel pour pouvoir être comparé aux autres investissements financiers, d’autant plus que les critères utilisés pour en estimer la valeur changent tout le temps»

Hubert d’Ursel, administrateur chez Degroof, complète : « il y a une centaine d’artistes très chers, qui cohabitent avec des milliers d’artistes  qu’il faut aller découvrir dans les galeries, les foires et qui sont abordables. »

Reprenons : Il y a une bulle dans le marché de l’art contemporain.  Oui. Et lorsqu’elle éclatera, l’offre sera alors trop importante, les acheteurs absents et le réajustement des valeurs aura lieu.

Il y a des modes et c’est difficile de prévoir leurs évolutions. Oui. Voyez les tableaux de la fin du 19ème exposés dans le Salon des Refusés : c’est eux qu’on aime aujourd’hui, tandis que ceux qui étaient en vogue alors ne nous intéressent plus.

Certains artistes très appréciés aujourd’hui perdront de leur attrait : oui. On pense aux animaux emprisonnés dans le formol de Damien Hirst, qui ont perdu énormément de leur valeur. Et dans 150 ans, les ballons colorés de Jeff Koons seront sans doute les kitscheries dont les musées auront un peu honte.

Acheter de l’art uniquement comme investissement, c’est mal : cette sentence moralisatrice n’a pas lieu d’être. Chacun fait comme il veut. Des gens plus passionnés par l’argent que par l’art, ça court les rues.

Il faut acheter ce qu’on aime : oui, si la démarche première est de désirer ramener chez soi une œuvre qui nous raconte quelque chose de profond sur notre humanité, qui apporte du sens.

Il y a de très nombreux artistes méconnus et de grand talent. Mille fois oui. Les découvrir, les aimer et les acheter se rapporte alors plus à une quête, un plaisir, une obsession qu’à un investissement financier.

 

Paru en juillet 2014 dans le magazine LOBBY 

Muriel de Crayencour

Fondatrice

Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.