Au Wiels, l’exposition Regenerate proclame le pouvoir cathartique de l’art à travers la production de vingt jeunes artistes émergents, la plupart nés après 1990. Les commissaires, Zoë Gray et Helena Kritis, sont allées à la rencontre de ces artistes pour découvrir le travail produit en atelier pendant les périodes de confinement. Regenerate nous permet de prendre connaissance du travail d’une nouvelle génération, qui pose un regard particulier sur notre période actuelle et questionne l’impact de la crise sanitaire sur nos vies. Passage en revue avec une sélection toute personnelle.
L’exposition s’ouvre sur le travail de Sandrine Morgante, qui explore les pressions physiques et psychologiques que nous subissons. L’artiste raconte ses insomnies incessantes. Elle présente toutes les pensées éparses qui lui viennent pendant ses longues nuits blanches, sous forme d’une multitude de feuilles de papier à peine disposées en vrac et à peine collées sur le mur, volantes pour ainsi dire. La mélatonine, une substance naturelle régulatrice de l’humeur et du sommeil, est au cœur de ses préoccupations, elle en parle avec obsession. L’artiste met en évidence l’oppression du discours étatique qui nous pousse à toujours plus se médicamenter en vue de se conformer aux attentes du système, en l’occurrence respecter des horaires conventionnels, travailler le jour et dormir la nuit, pour être plus productif. Ne vaudrait-il pas mieux écouter son horloge biologique interne plutôt que les diktats de nos sociétés contemporaines ?
Eva Giolo présente Flowers blooming in our throats, une ode cinématographique mettant en lumière les petits gestes du quotidien. Pendant le confinement, l’artiste a filmé ses amies dans leur espace domestique pour montrer la beauté de la banalité. C’est avec une extrême sensibilité qu’elle souligne l’équilibre fragile de nos vies, l’importance pour chacun de nous de se rattacher à des actions routinières permettant d’apaiser nos névroses. Elle se concentre sur certains détails, essentiellement les mains de ses amies. On voit ces mains jouer avec un élastique, un couteau, une toupie. Les images sont troublantes de poésie, mais exhalent en même temps une violence sous-jacente. L’artiste interroge implicitement l’impact de la crise sanitaire sur notre santé mentale et montre comment la répétition peut tout à la fois être salvatrice et destructrice.
Nokukhanya Langa propose des tableaux subversifs, qui font penser à des vestiges de murs urbains qu’elle aurait prélevés et recontextualisés dans un autre lieu, celui de la salle d’exposition. L’artiste produit une œuvre difficile à identifier, composée de laines de roche disposées le long de châssis en bois sur lesquels elle tend une toile grise. Cette dernière devient alors le support de ses dessins. Des signes provenant de registres et langages variés apparaissent sur la toile comme des tags issus du milieu du street art. Depuis le début du confinement, notre relation à l’extérieur a été mise à mal. Ne pouvant plus y avoir accès, nous avons été amenés à faire un effort d’imagination pour réinventer cette extériorité manquante, il nous fallait une échappatoire à notre monde intérieur. En introduisant une ruine urbaine provenant du monde de dehors dans son espace intérieur, l’artiste brouille les limites entre le domaine domestique privé et l’espace public.
Batsheva Ross met en lumière le discours dominant selon lequel il faudrait toujours être dans une quête de la beauté et de la santé. Son œuvre picturale nous interroge sur notre rapport au corps et notre obsession à vouloir maintenir une excellente condition physique en vue de répondre toujours mieux aux images véhiculées par les médias. En empruntant le style d’Edgar Degas, l’artiste compose une série de peintures, Fitness Studies, qui présentent des séances d’exercices physiques des cours de yoga, de Pilates, de zumba et d’autres sports à la mode. Son travail a un caractère autobiographique, elle avoue paradoxalement être une adepte de ces séances. Cela suggère à quel point il peut être difficile d’échapper aux tendances actuelles, au risque de se marginaliser.
L’œuvre photographique de Camille Piquot exhibe des contacts corporels, ce qui peut paraître étrange et déconcertant dans une période marquée par la distanciation physique. Les images de l’artiste montrent son intérêt pour la lumière et pour la figure humaine qui est toujours au centre de ses compositions. On peut y voir une référence à Wolfgang Tilmans dans la manière de montrer une génération dans son intimité, loin des modes de vie conformistes. De plus, les photos sont disposées les unes à côté des autres, ce qui permet de s’intéresser autant à l’ensemble qu’aux détails de l’œuvre. Dans les photos de Camille Piquot, les corps sont présents, mais ne sont pas toujours reconnaissables. Le manque d’identité de ses sujets donne à ses photographies un réalisme universel. Le spectateur peut s’y identifier plus aisément, se projeter dans des situations similaires et se questionner sur son rapport à l’autre. Ces photographies nous troublent en ce qu’elles nous rappellent le monde d’hier, quand il était encore possible de toucher l’autre sans même se poser de questions.
L’exposition met aussi en lumière l’aspect visionnaire des artistes dont certains se passionnent pour les relations entre humains et robots, technologie numérique et intelligence artificielle. En donnant à voir des œuvres d’anticipation qui prennent en compte les mutations à venir de notre environnement global, Regenerate a le mérite de faire émerger des questions.
Regenerate
Wiels
354 av. Van Volxem
1190 Bruxelles
Jusqu'au 15 août
Du mardi au dimanche de 11h à 18h
https://www.wiels.org/
Journaliste
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