Pour célébrer son centenaire, le Musée Folkwang d'Essen confronte la collection de Karl Ernst Osthaus et celle de Kōjirō Matsukata, toutes deux consacrées à l'art français au tournant du 20e siècle.
En 1932, la collection d'art contemporain du Musée Folkwang d'Essen comptait parmi les plus importantes d'Europe. On y admirait, aux côtés des expressionnistes allemands, entre autres, les nombreuses œuvres impressionnistes rassemblées par le collectionneur et mécène Karl Ernst Osthaus. Quelques années plus tard, une grande partie de la collection fut saisie par les nazis et présentée à l'exposition d'Art dégénéré organisé en 1937 à Munich. De nombreuses années, jusque très récemment, furent nécessaires au musée pour reconstituer l'essentiel de la collection.
Alors que le Folkwang célèbre cette année son centenaire, il présente les œuvres de cette collection à l'histoire mouvementée en miroir de celles d'une autre collection, celle de Kōjirō Matsukata. Industriel europhile, le Japonais rassembla, lui aussi, une collection d'œuvres impressionnistes qui fut également saisie pendant la guerre, par les autorités françaises cette fois. Retournées au Japon à la fin des années 1950, ces peintures et sculptures désormais accrochées aux cimaises du Musée national d'Art occidental à Tokyo reviennent exceptionnellement en Europe. Les deux collectionneurs étaient issus de familles d'industriels. Si Matsukata a poursuivi ses activités, Osthaus est lui sorti de la voie que lui avait tracée sa famille pour entreprendre des études de philosophie et d'histoire de l'art.
Pour choisir les œuvres à acquérir, les deux collectionneurs ont pu compter sur des conseillers qui connaissaient le milieu artistique du début du 20e siècle et pouvaient les introduire auprès des artistes. Karl Ernst Osthaus, qui avait l'avantage de la proximité géographique, a noué pour cela une relation de confiance avec Henry Van de Velde. Il a d'ailleurs confié au Belge la décoration du musée établi dans sa ville de Hagen, au cœur de la région industrielle de la Ruhr. Par toute la beauté et la créativité rassemblée dans ce musée, il aspirait à donner à la population ouvrière de sa ville accès à un autre monde. Après sa mort, comme il avait demandé par testament que sa collection ne soit pas dilapidée, elle est finalement revenue au jeune Musée d'Essen, rebaptisé Folkwang.
L'exposition est sous-titrée Images d'un monde flottant, en référence aux estampes que collectionnait également Osthaus, aux côtés d'objets ethnographiques et de céramiques et de rouleaux japonais. Ce monde flottant est aussi celui de la peinture impressionniste et postimpressionniste qui témoigne du basculement dans la modernité et qui a éveillé l'intérêt de deux collectionneurs issus de famille d'industriels issus de cultures différentes. Sans que cela soit systématique, les peintures sont présentées sur des fonds de couleur différents suivant qu'elles viennent de la collection de Matsukata ou de celle de Osthaus. On peut ainsi comparer deux toiles de Pierre-Auguste Renoir inspirées par sa muse Lise Tréhot. Posant avec une ombrelle dans l'une, elle apparaît métamorphosée en beauté orientalisante dans l'autre.
L'ambition de deux collectionneurs était de rendre compte, via leur musées respectifs, de l'art français de leur époque dans ce qu'il pouvait avoir d'innovateur. Au fil des salles, on retrouve ainsi également Manet, puis les paysagistes de l'Ecole de Barbizon avec Courbet, Daubigny et Corot, les nabis de Maurice Denis avec un magnifique paravent, ou encore quelques-unes des 34 œuvres de Monet que Matsukata a pu acquérir grâce à sa fortune considérable. Une salle reconstitue le grand hall du musée de Hagen avec ses Signac, Cézanne et Bonnard. L'impression ne serait pas complète sans les Van Gogh, dont une vibrante Moisson et des Gauguin, parmi lesquels l'intense Contes Barbares, peint lors de son deuxième voyage en Polynésie après avoir appris la mort d'un ami missionnaire.
Une salle est consacrée à Rodin, que les deux hommes ont rencontré à plusieurs reprises, et plus particulièrement à La porte de l'Enfer. Cette sculpture monumentale devait donner accès à un nouveau Musée des Arts décoratifs qu'avait envisagé Léon Gambetta sur le site qui accueillera par la suite la Gare d'Orsay. Rodin avait réalisé une maquette du portique inspiré de l'enfer de Dante. Ce projet qu'il n'a pu concrétiser, rassemblait dans une fusion de corps pas moins de 200 motifs et personnages dont le sculpteur réalisait des sculptures à la demande.
Deux artistes japonaises contemporaines flottent entre les époques par des créations qui font écho aux œuvres collectionnées par Matsukata et Osthaus. A mi-parcours, I hope… , une installation de Chiaru Shiota, évoque un monde flottant d'espoirs. Dans une forêt de cordes rouges, apparaissent des silhouettes de barques fantomatiques ainsi que des milliers de petites feuilles blanches où des gens issus de cultures et de pays différents ont écrit leur espoirs et leurs attentes pour le futur. Tabaimo a créé une installation vidéo qui répond aux masques de théâtre No rassemblé par Osthaus cent années plus tôt.
Karl Ernst Osthaus et Kōjirō Matsukata ne se sont jamais rencontrés, même s'ils ont fréquenté les mêmes ateliers d'artistes. Cette réunion exceptionnelle de leurs deux collections révèle d'un coup une autre facette des peintres français qui ont accompagné l'avènement d'un nouveau siècle comme le basculement dans un autre monde.
Renoir, Monet, Gauguin
Images of a Floating World
Musée Folkwang
45128 Essen
Allemagne
Jusqu'au 15 mai
www.museum-folkwang.de
Rédacteur en chef
Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT
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