Qu’est-ce que le risque à l’ère du prévisible ?

Zoé Allen
19 septembre 2020

Le Wiels présente l’exposition Risquons Tout jusqu'en janvier 2021. Cette exposition est la seconde itération d’une initiative lancée par le Wiels en 2017 avec le Musée Absent. C’est une expérimentation au format exceptionnel de la rencontre de penseurs, artistes et scientifiques, tous issus de l’Eurocore. Elle est accompagnée de performances, de la publication d’un catalogue et d’une Open School utilisée comme laboratoire où les questions de la transgression, de l’imprévisibilité et des frontières sont abordées et réfléchies.

Le Wiels nous invite à franchir les normes comme des contrebandiers outrepassant les frontières. Cette zone de non-droit bureaucratique questionne l’art transgressif et alternatif, le spectateur est amené à faire part de créativité en s’interrogeant sur le risque. Qu’est-ce que le risque ? Il y a une part de danger et d’imprévisibilité dans notre stimulation de l’imaginaire. Il y a une peur du changement et d’une rencontre de l’autre, sentiment exacerbé par la fermeture des frontières en cette période de pandémie. Après avoir été accueilli par l’œuvre monumentale de Kati Heck, dont l’iconographie idiosyncrasique donne le ton dans la salle de brassage, nous montons dans le grand ascenseur afin d’explorer les quatre étages du Wiels, où les trente-huit artistes se sont partagé l’espace. Au premier étage, nous nous retrouvons face à l’installation chaotique et moqueuse L’ennemi de mon ennemi, de Neil Beloufa. Le discours antidémocratique à l’ère de la mondialisation et du capitalisme sera questionné tout au long de l’exposition par les artistes à travers de nombreuses œuvres, comme Forced Love d’Irene Kanga, qui évoque le viol colonial, ou encore, au deuxième étage, la pièce de Melike Kara sur la place du peuple kurde dans l’histoire turque officielle. Histoire tragique effacée à l’eau de Javel. Tous ces dispositifs et installations, en plus de nous informer, nous font miroiter également la question de la démocratie. À quoi sommes-nous prêts pour la préserver, alors que l’Europe glisse doucement vers des idées de division, la droite profitant de nos doutes et inquiétudes vis-à-vis de l’avenir ?

En continuant à se promener au premier étage, notre regard est forcément attiré par les créations à fortes connotations sexuelles d’Evelyn Taocheng Wang ou de Manuel Graf. Néanmoins, nous pouvons nous demander où se situe la transgression ? En effet, des phallus en érection sont une chose assez commune aujourd’hui, alors qu’il a été tout à fait fascinant, à travers l’œuvre de Monika Stricker, de mettre l’accent sur la sensibilité cassant les normes de genre. Version masculine de l’origine du monde de Courbet, la position languissante et érotique de ce corps d’homme est quelque chose de peu exploité, alors que cette fragilité est si belle. La vulnérabilité est une force, elle nous rend plus humain. Malgré la surconnexion, la question de reconnexion à l’étranger par une rencontre intime tout en ayant la discipline de respecter la distanciation sociale pourrait trouver une réponse dans le risque de se laisser toucher émotionnellement. Il est important de se remémorer qu’il n’existe pas qu’une seule forme d’intelligence et c’est parfois de plus petites choses qui nous toucheront plutôt que des œuvres de grand volume qu’on retrouve ailleurs dans l’exposition.

Le Poème des Nombres Premiers d’Esther Ferrer, au premier étage, ou la performance et installation in situ de Lise Duclaux, au troisième étage, sont deux agréables surprises. En effet, il était assez inattendu de solliciter dans l’espace muséal les plantes - sorties des paysages romantiques du 19e siècle - ou les chiffres - d’habitude cantonnés au scientifique. Vu depuis leur réalité ou abstraction, le spectateur est encouragé à se questionner sur les codes muséaux mais également sur nos propres politiques culturelles et sociales.

Le risque, qu’il soit physique ou mental, nous invite à interroger ce qui nous entoure et nous-mêmes par des débats ou des manifestations, mais également par des actions de résilience. La résilience, loin d’être passive, nous amène à trouver des solutions innovantes pour le monde de demain et, qui sait, peut-être réussir à éviter la boucle historique, en nous sortant de notre bulle homogénéisée de pensée  - limitée actuellement à cinq personnes...

Risquons tout
Wiels
354 av. Van Volxem
1190 Bruxelles
Jusqu'au 10 janvier 2021
Du mardi au dimanche de 11H à 18h
www.wiels.org

Zoé Allen

Journaliste

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