L'œil crypto-baroque de Roman Minin

Gilles Bechet
13 avril 2023

Désormais installé en Belgique, l'artiste ukrainien Roman Minin présente un ensemble d'œuvres à la galerie Mhaata, des compositions cryptiques enchevêtrées qu'il décline sur des supports variés. Jusqu'au 21 mai.

« En Ukraine, depuis la Seconde Guerre mondiale, toutes les deux générations, le pays est pratiquement détruit et il faut recommencer à zéro. Aujourd'hui, depuis l'invasion russe, les gens vivent dans une autre univers », explique Roman Minin. C'est sans doute cette autre dimension qui émerge des œuvres foisonnantes de l'artiste ukrainien qui a déjà exposé aux quatre coins du monde et qui est désormais établi en Belgique.

Fils et petit-fils de mineur, originaire de la région de Donetsk dans le Donbass, il truffe ses créations kaléidoscopiques de la figure du mineur. Un mineur tantôt surfant au milieu des planètes, tantôt jouant de l'accordéon au milieu de ses camarades ou encore aux commandes d'une excavatrice prête à ouvrir une portail vers un autre dimension. C'est dire que, dans l'imaginaire de Roman Minin, la chanson de geste industrielle peut rencontrer l'imagerie de la religion orthodoxe, les traditions folkloriques, les mythes aztèques ou même les récits de science-fiction. L'artiste qualifiant volontiers son style riche de métaphores et de symboles, de crypto-baroque.

Ainsi, le mineur casqué, avec sa lampe frontale pour éclairer son chemin, incarne pour lui le héros universel, celui qui par son labeur acharné ouvre la voie à l'humanité en lui apportant la chaleur de la vie. Et c'est grâce au dessin, caractérisé par ses épais traits noirs, que ces univers parallèles trouvent toute leur cohérence, et ce, quel que soit le support.


Art monumental

Comme on peut le constater dans l'exposition que propose la galerie Mhaata nichée au cœur des Marolles, l'artiste semble à l'aise sur tous les médiums et tous les supports, du dessin au bas-relief en passant par la tapisserie et le vitrail. Aujourd'hui, il travaille d'ailleurs avec Bernard Tirtiaux, à la ferme de Martinrou, à des projets de vitraux qu'il aimerait installer en Belgique, par exemple dans le projet de réhabilitation du Rockrill à Charleroi.

Roman Minin a soif de techniques et d'expérimentations pour agrandir encore son univers expressif. En 2018, il avait réalisé une œuvre en réalité augmentée en créant une sculpture virtuelle à partir du Love de Robert Indiana, qu'il a fait flotter au-dessus d'un immeuble de Kharkiv. En 2021, à l'occasion d'une exposition au Centre culturel ukrainien de Paris, il créait un hologramme bleuté placé à l'aplomb d'un piano à queue qui semble égrener les notes d'une musique composée par Roman. La créature animée était inspirée par la mythologie aztèque, comme un rappel qu'en tant qu'individu ou civilisation, on est contraint de s'adapter pour ne pas disparaître.


Langue cryptée

Dessinateur virtuose dès la prime adolescence, Roman Minin a été formé à l'art monumental à l'Académie des arts de Kharkiv. C'est sans doute pour cela que, même quand il dessine petit, il pense grand, et que ses compositions ont la force et l'équilibre nécessaire à être agrandies sur un mur. Rigoureux et cérébral dans ses compositions enchevêtrées, il sait aussi se montrer plus instinctif et gestuel, comme dans une série de petites peintures abstraites où il laisse parler la couleur ou dans sa série de peupliers de Normandie qui lui rappellent ceux du Donbass.

Russophone, il lui était devenu difficile, voir impossible, de s'exprimer dans sa langue natale. Intériorisant cette langue devenue maudite, il l'a transformée pour en faire une langue cryptée accompagnée d'une écriture inspirée par des éléments du cyrillique ancien. Cette écriture, indéchiffrable pour la plupart d'entre nous, devient un élément graphique qui structure et souligne de nombreuses œuvres. On peut aussi l'admirer dans une pièce exceptionnelle qu'est cette sorte de grimoire entièrement dessiné et écrit à la main sur les feuilles de papier parchemin où les récits folkloriques se mêlent à ceux de science-fiction en faisant la part belle à l'invincible et indestructible mineur.

Si la guerre qui ravage actuellement son pays imprègne son esprit et son travail, on ne voit pas le moindre tank, armes ou soldat dans ses compositions, mais des dessins à décoder, comme cette main qui tend une coupe en flammes, manière pour l'artiste de renvoyer les deux camps à leurs responsabilités respectives. En 2010, quelques années avant le déclenchement de la guerre, il avait redessiné sur une série de photos qu'il avait prises à Kharkiv la nuit ce qui pouvait préfigurer des flammes et des explosions. S'adapter ou disparaître.

 

Roman Minin
Galerie Mhaata
rue des Capucins 37-39
1000 Bruxelles
jusqu'au 21 mai
vendredi de 14h à 18h
samedi et dimanche de 11h à 18h
www.mhaata.com

Gilles Bechet

Rédacteur en chef

Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT