C’est un poème élégiaque et prophétique d’Arthur Rimbaud qui donne son titre à l’exposition d’Aurélie Gravas (1977) et de Xavier Noiret-Thomé (1971). Soleil et Chair rassemble un assortiment d’œuvres existantes ainsi que deux séries inédites de dessins créées pour l’occasion dans un espace atypique à Forest.
A l’état brut, sans fioriture aucune, cet ancien atelier de sérigraphie (regrettablement sur la longue liste des métiers artisanaux en voie de disparition) est aux antipodes des murs blancs immaculés des galeries classiques. Avant sa mise à mort annoncée par un promoteur immobilier, ce lieu se voit insuffler une seconde vie par la grâce de cette exposition en binôme. On y découvre des œuvres aux couleurs chatoyantes, réchauffant de plusieurs degrés l’atmosphère. Ce n’est pas un hasard si ces deux artistes exposent pour la première fois ensemble, car ils ont en commun ce goût inconditionnel de l’histoire de l’art, dont les hommages et références errent d’une œuvre à l’autre. Voyez au mur ce Cézanne de Xavier Noiret-Thomé (peintre et sculpteur), qui l’agrémente malicieusement d’un morceau de brosse à cheveux, clin d’œil au ready made d’un certain Duchamp. A quelques mètres de là, une drôle de femme en carton et robe bleue et blanche aux motifs géométriques est assise sur une chaise. ll s’agit de Madame Delaunay qu’Aurélie Gravas (peintre et musicienne) installe avec beaucoup d’affection dans chacune de ses expositions.
Dans la pièce centrale, deux séries de dessins occupent chacun un mur. Côté Gravas, sept dessins composent la série Mad girls love song (titre également de son nouvel album). La diversité des matériaux utilisés - craie grasse et sèche, fusain, spray et huile -, l’association de formes abstraites et de motifs figuratifs - poisson, pied, oreille, fesses, trompette... - ainsi que le contraste de couleurs délicates, du rose chair en vedette au noir intense du fusain, en font des compositions vibrantes, foisonnantes et harmonieuses. Des œuvres à l’aura contemplative dont l’impact émotionnel se fait par le jeu ingénieux de formes et de couleurs. Côté Noiret-Thomé, une série de huit dessins représente de façon aléatoire et drôle des paysages de Dolomite ultra phallique, un dé incomplet au chiffre unique (Uno, Le Labyrinthe), une paire identique de Chaussettes (un motif assez rare pour le signaler !), des seins ronds comme des melons, ainsi que des références mythologiques comme le serpent Uroborus, écho au cycle de la vie, ou Râ, dieu tout-puissant du Soleil qui revigore, certes, mais rappelle aussi l’inquiétude du réchauffement climatique et de ses conséquences désastreuses sur la nature.
Chaleur du soleil que l’on retrouve aussi dans deux grands formats. Chez elle, il est d’une chaleur écrasante dans un désert jaune lumineux d’une beauté effarante mais aussi effrayante (Tipees) tandis que chez lui, c’est un Soleil Naine minuscule et très jaune perdu sur un fond noir d’une intensité dramatique. Le poème choisi pour l’exposition n’est pas anodin car, dans Soleil et Chair (1870), Rimbaud tel un prophète fait allusion à ce paradis perdu, dans lequel la nature semble déjà s’effriter. Chez Noiret-Thomé, l’inquiétude environnementale semble se déployer également dans son vase en céramique sublime aux formes sexuées et organiques, dont le titre Étretat peut alerter sur la disparition lente et douloureuse de ses falaises, mais aussi dans cette toile magistralement envoûtante dans laquelle une Sirène Handicapée, au bras droit estropié remplacé par un crochet, au crâne chauve et au visage raturé, se languit sur son banc de sable telle une Madame Récamier égratignée des Temps modernes ! Cette sirène-pirate qui a perdu de sa superbe nous regarde d’un air blasé et accusateur de l'air de nous poser la seule question qui compte : "Vous attendez quoi, vous les humains, pour agir ?" Une exposition divine et chaleureuse à aller voir sans perdre une minute.
Aurélie Gravas et Xavier Noiret-Thomé
Soleil et Chair
Basin et Marot
53 rue des Carburants
1190 Forest
Jusqu’au 28 septembre
Samedi et mercredis de 14h à 18h
Journaliste
Diplômée en Histoire de l’Art à la Sorbonne, cette spécialiste de l’art contemporain a été la collaboratrice régulière des hebdomadaires Marianne Belgique et M-Belgique, ainsi que du magazine flamand H art. Plus portée sur l’artiste en tant qu’humain plutôt qu’objet de spéculation financière, Mélanie Huchet avoue une inclination pour les jeunes artistes aux talents incontestables mais dont le carnet d’adresse ne suit pas. De par ses origines iraniennes, elle garde un œil attentif vers la scène contemporaine orientale qui, bien qu’elle ait conquis de riches collectionneurs, n’a pas encore trouvé sa place aux yeux du grand public.
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