Sophie Kuijken au fond des yeux

Muriel de Crayencour
23 juin 2016

C'est la deuxième exposition personnelle de Sophie Kuijken à la Galerie Obadia à Bruxelles. Ses portraits sur panneaux de bois, à l'aura classique, intriguent autant qu'ils séduisent. Acrylique, huile, glacis créent ce rendu soyeux. La manière est dans la tradition des grands maîtres du portrait, de la Renaissance aux peintres du XVIIIe.

Ici un homme accroupi, dans un costume rouge. Son visage fait penser à Picasso jeune. Son col de chemise à la forme étrange, aussi. Là, une jeune femme en sous-vêtements, portant sur son bras gauche un écureuil. Mais encore, un homme en gilet jaune, allongé. Ces portraits sur fond noir portent tous un titre formé de deux ou trois initiales. Ils ne sont pas nommés. Ils restent mystérieux. Ne révélant rien d'autre qu'un aspect physique à vrai dire anodin. D'où vient alors leur charme vénéneux ? L'artiste peint des modèles créés par la compilation d'images trouvées sur internet via des mots-clés : un nom, un lieu, un nombre. Chaque portrait est un collage de plusieurs informations. Ce brouillage, ce mixage aléatoire éloigne chaque représentation de la réalité. L'homme ou la femme qu'on voit ici n'est personne. Pour renforcer cette notion, Sophie Kuijken n'hésite pas à déformer une morphologie, allonger un cou, comme le faisait Ingres.

On a pu voir l'un des tableaux de l'artiste au Musée d'Ixelles, dans un accrochage intitulé Portrait bourgeois, parmi des portraits anciens de la collection. Malgré une même palette de tons que ces pairs anciens, le portrait de Kuijken présente des détails incongrus comme une boucle d'oreille, une canne faite d'osselets, qui rendent la découverte de l'œuvre troublante. Au bord de deux mondes, l'ancien et l'actuel, les œuvres de Sophie Kuijken sont profondément contemporaines, justement à cause de cette place dans un entre-deux.

Sophie Kuijken est née en 1965 à Bruges. Elle est formée à l'Académie de Gand, dont elle sort diplômée en 1988. Elle va peindre secrètement durant près de 20 ans. C'est un collectionneur belge qui la sort de son atelier en 2010 et présente son travail à Joost Declercq, directeur du musée Dhondt-Dhaenens, qui lui consacre une expo solo en 2011.

 

Sophie Kuijken
Galerie Nathalie Obadia
8 rue Charles Decoster
1050 Bruxelles
Jusqu’au 23 juillet
Du mardi au vendredi de 10h à 18h00, samedi de 12h à 18h
www.galerie-Obadia.com

 

Muriel de Crayencour

Fondatrice

Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.