Artiste secrète, Sophie Kuijken puise dans la technique des Primitifs flamands et dans le flux d’Internet les outils pour peindre et dessiner d’énigmatiques portraits qu’elle expose chez Nathalie Obadia.
La peinture figurative connaît depuis quelques années un retour en grâce. Si les raisons en sont multiples, cela tient sans doute à l’aspiration d’une partie du public, et des acheteurs, d’y retrouver un miroir de ce qu’ils sont et de ce qu’ils vivent. Pour avoir des points de repère dans un monde qui va trop vite, comme on se raccroche au bastingage sur une mer qui tangue.
Avec ses portraits, Sophie Kuijken nous offre un miroir intranquille du réel, qu’elle refaçonne telle une alchimiste, une pincée de van Eyck ici, un voile d’Internet là, peut-être un soupçon de Balthus et surtout beaucoup de travail. Les hommes, les femmes qu’elle peint n’appartiennent pas à notre époque, ni à une autre. C’est à peine parfois s’ils appartiennent à un genre bien défini. Ils n’existent pas dans notre réalité et elle les fait exister par la peinture en recomposant des modèles à partir de fragments de photos et d’images qu’elle collecte sur Internet depuis de longues années. Assemblant une partie de visage puisée ici avec un geste de la main puisé là-bas, une oreille à gauche et un œil à droite. Elle lie ces éléments au départ disparates par une technique picturale sans faille ni couture qui confère à la peau de ces modèles une luminosité feutrée et un velouté diaphane. En regardant attentivement, on sent une indéfinissable rupture avec une normalité lisse. Peut-être deux yeux différents l’un de l’autre, une attitude indéchiffrable. Aucun décor et pas d’accessoire sur ces portraits. Sophie Kuijken se concentre sur les visages et les positions des mains et des doigts qui semblent détenir la clé d’un alphabet gestuel mystérieux. Elle distille le trouble avec très peu de moyens. Une blouse roulée sur la poitrine ou un homme qui retient sa tête d’un ruban de tissu. Dans un étrange dessin, une vue de la trachée comme si, derrière une peau transparente, elle se transformait en doigts habités de petits homoncules. Un grand portrait représente un homme dans une robe ecclésiastique d’où dépassent quatre paires de jambes mal assorties.
Sophie Kuijken est une artiste singulière, formée à l’Académie royale des Beaux Arts de Gand, elle disparaît des regards pendant une vingtaine d’années où elle peint dans l’intimité de son atelier, perfectionnant son art avec un soin et une passion maniaques, une technique inspirée des Primitifs flamands dont elle capte une certaine mystique qui s’est affranchie du décorum et des symboles religieux. On ne s’étonnera pas, dès lors, qu’en complément de son exposition bruxelloise, elle expose aussi six peintures dans la cathédrale Saint-Bavon à Gand, pour célébrer le retour, après restauration, du retable de l’Adoration de l’Agneau mystique des frères van Eyck. D’énigmatiques gisants debout. Comme des funambules sur le fil de l’éternité.
Sophie Kuijken
Galerie Nathalie Obadia
8 rue Charles Decoster
1050 Bruxelles
Jusqu’au 22 février
Du mardi au samedi de 10h à 18h
www.nathalieobadia.com
Rédacteur en chef
Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT
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