Sophie Lauwers, nouvelle directrice générale de Bozar, développe la philosophie de son nouveau mandat
Nommée directrice générale de Bozar en octobre 2021, Sophie Lauwers connaît bien la maison puisqu'elle y a occupé, depuis 2002, les postes de coordinatrice puis de directrice des expositions. Elle entame son mandat de six ans dans un contexte très particulier. Alors que l'institution fête le centenaire d'un projet culturel unique, la société est bouleversée par des événements - pandémie, guerre - qui affectent durablement les besoins et les modes de consommation de la culture.
Qu'est-ce qui fait l'identité et la spécificité du Palais des Beaux-Arts aujourd'hui ?
Les gens qui ont écrit ses statuts en 1922 ne sont pas du tout des gens créatifs, ce sont des notaires, banquiers, avocats et un bourgmestre. Et ce qu'ils ont fait est hypercréatif. Il y a dans ces statuts des choses qui sont très actuelles. L'histoire du Palais des Beaux-Arts est tellement riche qu'on peut parfois se demander ce qu'il faut changer. Mais cet héritage ne doit pas non plus être un obstacle, il faut aussi s'en servir comme inspiration pour changer et oser choisir. J'arrive comme nouvelle directrice générale à un moment-clé, alors qu'on célèbre les cent ans du Palais des Beaux-Arts. Je vois la période 2022-23 comme une transition tant dans mon leadership que dans l'implémentation de ce qu'on veut mettre en avant. Je n'ai pas encore toutes les réponses et je vois ça comme une expédition entre ce qu'on connaît, ce qu'on sait, et un futur à construire.
En 100 ans, la manière dont on vit et consomme la culture a fondamentalement changé...
Aujourd'hui, on sort de la période covid et il y a la guerre, tout change tellement vite. L'Europe n'est plus du tout celle qu'elle était il y a deux mois. Comment fait-on dans ce contexte pour parler des thématiques sociétales ? C'est très difficile d'avoir encore une vision du futur.
On sait ce qu'on veut, mais on ne sait pas comment le monde va évoluer. Le Palais des Beaux-Arts est aussi celui de l'imagination. Si on ne veut pas réimaginer le monde, on n'a pas besoin d'artistes. Dans le concret, on travaille aussi sur la diversité et l'inclusion, car je ne peux pas dire qu'on reflète complètement la diversité de Bruxelles. Je me demande aussi comment l'Europe et la Belgique vont évoluer. Je passe beaucoup de temps dans des réunions avec les différents pouvoirs subsidiants, ça devient compliqué. On ne sait pas ce qui va se passer en Belgique en 2024 parce qu'on est une institution fédérale. Même si j'ai de très bon contacts de tous les côtés, on sent quand même une certaine polarisation monter dans la société. On vit tous un moment dans l'histoire qui est exceptionnel. Et c'est un grand défi super intéressant.
L'art pour tous, est-ce un discours ou une belle utopie ?
Ce n'est pas juste un discours. Le public est en train de changer, on a plusieurs niches : on a des gens un peu plus âgés qui viennent aux concerts classiques, même s'il y a des jeunes aussi. Mais il y a clairement différents types de programmes pour différents publics. Je vois ce lieu comme un palais ouvert. On rassemble des choses très différentes sous un même toit, c'est notre rôle et c'est ce qui nous rend unique comparé à La Monnaie ou au Wiels. C'était dès le départ une volonté très avant-gardiste et ça le reste aujourd'hui. Alors l'art pour tous, est-ce une utopie ? Oui et non, mais il faut faire attention aux mots, parce que c'est un terrain très compliqué. Je pense que l'art, parfois, ne s'adresse pas à tous, mais ça n'a rien à voir avec qui vous êtes et d'où vous venez. Tout le monde est le bienvenu et il y a encore un travail à faire. Comme la programmation artistique s'adresse à des publics divers, on se pose des questions sur comment les faire entrer et comment les faire participer.
Quels sont les outils pour y arriver ?
Notre défi, c'est de manier la nuance. C'est difficile et problématique, mais il faut quand même essayer. Je sais bien que l'art ne va pas changer le monde, même s'il peut changer des regards. L'art ne se crée pas sous vide. Quand on vient voir une exposition, écouter un concert, il y a toujours derrière des histoires qui sont sociétales et il y a des émotions. Même si on ne le voit pas, si on n'en parle pas, l'art est vraiment présent dans la société.
Quels éléments issus de vos expériences et de votre parcours tenez-vous à transposer dans votre gestion du Palais des Beaux-Arts ?
Je veux travailler ensemble avec les gens. Je pense qu'on ne peut pas porter un tel projet sans travailler avec les équipes. Avant de sortir ma note de vision, j'essaie d'aller voir les équipes. Je veux entendre et écouter les gens qui font le palais. Ceux qui ouvrent, qui ferment, j'ai envie de savoir comment ils voient tout ça. En tant que directrice d'expo, ça a toujours été mon mode de fonctionnement. J'avais mes idées et je les partageais avec mon équipe avant de les lâcher. J'adore mettre une graine quelque part et la voir grandir par la motivation et le plaisir du travail de mes équipes. Un autre aspect auquel je veux être très attentive, c'est le bien-être des gens. Ça doit être agréable de venir travailler au Palais des Beaux-Arts.
L'exposition David Hockney a été un réel succès, ce genre d'exposition blockbuster est-il un élément indispensable au modèle économique du Palais, alors que cela demande aussi des investissements considérables ?
Les deux expositions David Hockney sont d'abord des choix artistiques, que je n'aurais pas faits pour des raisons uniquement financières ou en pensant au public que ça peut attirer. Si on a tout ça ensemble, c'est évidemment idéal. Il est vrai que le modèle économique de Bozar est assez hybride et très compliqué. Pour tous les projets, on a besoin d'argent d'une manière ou d'une autre. David Hockney a été entièrement financé par le ticketing et donc je tenais évidemment ça à l'œil, mais je n'ai jamais voulu « vendre mon âme au diable ». On est en train de préparer une exposition sur Alice Neel. Ce sont des œuvres qui me touchent réellement et en même temps on sait que le public va venir. Il y a certaines expos comme David Hockney où on sait d'avance que ça va attirer beaucoup de monde, mais il y en a d'autres qui créent la surprise. Une bonne exposition avec un bon sujet finit toujours par attirer du monde. Parfois, c'est du bouche-à-oreille. En 2012, on a fait l'exposition du peintre danois Per Kirkeby que pas grand monde ne connaissait, mais les gens sont venus et en ont parlé autour d'eux. On n'est jamais certain à l'avance.
Rédacteur en chef
Il n’imagine pas un monde sans art. Comment sinon refléter et traduire la beauté, la douceur, la sauvagerie et l’absurdité des mondes d’hier et d’aujourd’hui ? Écrire sur l’art est pour lui un plaisir autant qu’une nécessité. Journaliste indépendant, passionné et curieux de toutes les métamorphoses artistiques, il collabore également à Bruzz et COLLECT
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