Sous la peau de Tracey Emin

Muriel de Crayencour
21 septembre 2017

Passionnante présentation par Tracey Emin elle-même à laquelle nous avons pu assister lors de l'ouverture de son exposition à la Galerie Xavier Hufkens. Une intrusion pleine de sens dans son univers artistique et émotionnel, une rencontre intense et inoubliable !

Le titre de l'exposition, The Memory of your touch, se réfère à un extrait du roman de D.H. Lawrence, L'amant de Lady Chatterley. Pour Tracey Emin, il s'agit du souvenir de sa mère. "Ma mère n'était pas souvent à la maison. Elle travaillait tout le temps. Quand je rentrais, je savais qu'elle était là quand je sentais son odeur et sa chaleur", raconte l'artiste. Dans les deux espaces de la galeries et au fil de plus de 90 œuvres - peintures, bronzes, œuvres sur papier, textes en néon, une vidéo - se déploient les dernières créations de cette artiste britannique dont la première rétrospective importante en 2008 à la Scottish National Gallery of Modern Art, à Edimbourg, a attiré plus de 40 000 spectateurs, battant le record du musée pour un artiste vivant.

Si les néons sont encore présents dans son travail actuel, on voit ici que la tendance de ses derniers travaux est d'aller vers des médiums plus classiques - peinture, sculpture - que l'artiste ose enfin aborder. Tout au long de sa présentation, Tracey Emin se dévoile sans pudeur. Elle est à vif, comme sans peau, sans délimitation entre elle-même et les autres. Envahie d'émotions et de sensations, elle raconte comment sa vie, la difficulté d'être, le deuil de sa mère, mais aussi la sexualité, la solitude, la peur, la colère nourrissent, voire provoquent ses œuvres. On pourrait croire qu'elle fait le show. Mais tout est dévoilé avec tant de sincérité que l'écouter est bouleversant. Tout autant que de découvrir ses œuvres.

Dans la première salle au 6 de la rue Saint-Georges, l'artiste nous présente son premier grand format en bronze, issu de l'une de ses petites sculptures. Majestueux, baigné dans la lumière de la verrière, le corps d'une jeune femme se penche sensuellement. Aux murs, de grands toiles et autant de recherches sur la rencontre, celle entre l'artiste et sa mère, celle entre son frère et elle... En quelques coups de pinceau, la scène est installée. Non figurative, plutôt évocatrice d'une émotion puissante, expressionniste, elle nous invite à être submergé par une émotion intense qui rejoindrait celle qui a prévalu à la création de la peinture. "Mes peintures me racontent quelque chose à moi-même, explique Tracey Emin. Aujourd'hui, à 44 ans, j'arrive enfin à dire d'une peinture qu'elle est finie. Maintenant je m'amuse avec la peinture, je m'amuse."

Dans la deuxième salle, deux petits bronzes peints fort réussis, d'autres grandes toiles. "Mon fantasme, poursuit l'artiste, serait d'atteindre le zen painting ! Faire un peu de yoga, puis tracer une seule ligne sur une toile. Ne plus devoir porter ces souvenirs, ces idées. Mais pour m'en débarrasser, je dois sortir tout cela. C'est ce que je fais aujourd'hui." Une très grande photo d'une femme nue couchée sur un lit. C'est Tracey elle-même. "Cette photo me choque. Je n'aurais pas osé la montrer il y a 20 ans, ni il y a 10 ans ou 5 ans. Aujourd'hui je la montre mais elle me choque. On peut y voir une morte avec une flaque de sang dans cette tache noire, on peut y voir beaucoup de choses."

Au 107 de la rue Saint-Georges, les petites encres sur papier sont bouleversantes. Sans bien comprendre ce qui y est représenté, se dégage à chaque fois une intense émotion : tristesse, sensualité, violence, brutalité, douceur... mille et une sensations offertes par l'artiste au spectateur. "Je suis comme ces personnes qui, au 19e siècle, se jetaient du haut des chutes du Niagara enfermées dans des tonneaux, je suis une survivante !", conclut-elle. L'exposition, de haute tenue, est un immanquable de la rentrée !

 

Tracey Emin
The Memory of Your Touch
Galerie Xavier Hufkens 
6 et 107 rue Saint-Georges
1050 Bruxelles
Jusqu’au 21 octobre
Du mardi au samedi de 11h à 18h
http://www.xavierhufkens.com/

 

Muriel de Crayencour

Fondatrice

Voir et regarder l’art. Puis transformer en mots cette expérience première, qui est comme une respiration. « L’écriture permet de transmuter ce que l’œil a vu. Ce processus me fascine. » Philosophe et sculptrice de formation, elle a été journaliste entre autres pour L’Echo, Marianne Belgique et M Belgique. Elle revendique de pouvoir écrire dans un style à la fois accessible et subjectif. La critique est permise ! Elle écrit sur l’art, la politique culturelle, l’évolution des musées et sur la manière de montrer l’art. Elle est aussi artiste. Elle a fondé le magazine Mu in the City en 2014.