Style Congo, la pensée coloniale masquée

Véronique Bergen
17 mai 2023

Le CIVA abrite l’exposition Style Congo. Heritage & Heresy qui, au travers d’œuvres contemporaines, des documents et matériaux provenant des archives du CIVA, interroge les liens esthétiques et politiques - évidents ou plus cryptiques - entre Art nouveau et représentations/appropriations du Congo. Organisé par le CIVA et Twenty Nine Studio, en collaboration avec KANAL-Centre Pompidou, l’événement propose un autre regard sur l’Art nouveau et l’héritage patrimonial.


L’histoire de l’art, ses créations sont ancrées dans l’histoire. Tributaires des époques dans lesquelles ils voient le jour, héritant d’imaginaires collectifs, les artistes intériorisent et réextériorisent des représentations culturelles qu’ils avalisent ou remettent en question. Appelé dès la fin du XIXe siècle Style Congo, le mouvement Art nouveau voit le jour à l’époque où Léopold II colonise et exploite le Congo. Les œuvres d’artistes et de collectifs interrogent le lien entre vocabulaire, syntaxe esthétique de l’Art nouveau et colonisation, questionnent la prégnance directe ou plus masquée de la pensée coloniale dans le courant artistique illustré par les architectes Hankar, Horta, Hobé, Lacoste. Comment lire, percevoir les monuments, les œuvres Art nouveau de la capitale belge et de la capitale congolaise ? Comment, derrière le motif central des courbes, le style appelé coup de fouet, derrière la forme empruntant son inspiration à l’Afrique, au Congo, rendre compte d’une pensée esthétique qui sert les intérêts politiques et économiques de la colonisation ?


Logique formelle

Au centre du parcours se trouve l’installation du collectif d’architectes belges Traumnovelle, intitulée Congolisation. Elle interroge l’histoire des pavillons coloniaux belges lors des foires internationales, des Expositions universelles entre 1885 et 1958. D’autres œuvres, comme l’installation vidéo de Judith Barry, les œuvres de Daniela Ortiz, de Ruth Sacks ou de Rossella Biscotti radiographient également l’histoire des pavillons d’exposition, la manière dont ils témoignent d’une connexion entre propositions artistiques et idéaux politiques.

Comment les œuvres artistiques et architecturales de l’Art nouveau ont-elles véhiculé, à leur corps défendant ou non, une propagande, des idées coloniales ? Où passe la ligne entre métissage des motifs et appropriation, entre influences culturelles, emprunts et utilisation idéologique ? La logique formelle, créatrice, interne qui sous-tend le champ esthétique s’inscrit dans un espace historique, politique plus large dont les œuvres réfléchissent la dynamique. Qu’est-ce qui du second percole dans la première ? Impressionnante, l’installation d’Ayoh Kré Duchâtelet construit un récit sonore et visuel qui fait le lien entre le passé et l’avenir et dont le titre, Ornaments and Crimes, condense l’aventure et l’esprit.


Une autre histoire

Les créations des artistes et architectes, représentants de l’Art nouveau, sont-elles porteuses d’une pensée coloniale de l’art ? Les questions posées dépassent le « style Congo » et renvoient aux interpénétrations complexes entre le registre esthétique et les propagandes idéologiques dans lesquelles des artistes se trouvent par moment plongés. Elles engagent aussi une réflexion en profondeur sur les multiples significations et usages du terme décolonisation (des espaces physiques, des esprits).

S’il est urgent de remettre en question les traces coloniales présentes dans le patrimoine architectural, artistique belge, de les pointer, de les recontextualiser, il apparaît aussi que les perspectives nouvelles apportées par la mise en place d’un nouveau regard ne peuvent être fécondes que si l’on interroge et combat les formes de néocolonisation qui sévissent d’autant plus que la société se penche sur les compromissions et crimes du passé, laissant les coudées franches aux pillages économiques, culturels actuels, aux destructions des modes de vie et de pensée qui entravent l’empire de la mondialisation.

Enfin, l’horizon émancipateur ouvert par la mise en œuvre d’une autre histoire (histoire et aussi histoire de l’art) qui s’aventure derrière le récit dominant des vainqueurs doit avoir pour ligne politico-éthique l’attention à la liberté, afin de se prémunir contre le réflexe du soupçon et son esprit de tribunal. Rien ne doit devenir un mot d’ordre, sous peine de répéter, sous une autre forme, les injustices et exactions que l’on combat. 

 

Style Congo. Heritage & Heresy
CIVA
55, rue de l’Ermitage
1050 Bruxelles
Jusqu’au 3 septembre 2023
Du mardi au dimanche de 10h30 à 18h
civa.brussels

Véronique Bergen

Journaliste

Véronique Bergen est philosophe, romancière et poète. Docteure en Philosophie de l’Université de Paris 8, auteure d’essais philosophiques, dans le champ de l’esthétique, de romans, de recueils de poèmes, de nombreuses monographies sur des plasticiens. Membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, elle collabore à diverses revues, notamment des revues d’art.

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