Tabou : sujet dont on évite de parler ?

Aurore t’Kint
27 janvier 2016

« Tabou - interdit de caractère religieux. Sujet dont on évite de parler » – (Larousse de poche, 1990). Lorsque la Maison Particulière décide de traiter d’un thème aussi vaste et intense que celui des tabous, on s'attend légitimement à de belles surprises. Déception pourtant. Quels sont les tabous d’aujourd’hui ? Est-ce encore le sexe ? Est-ce encore la religion ? Ne sont-ce pas plutôt les outrages faits aux femmes dans certaines parties du monde ou bien plus proches de chez nous, comme à Cologne par exemple ? N’est-ce pas le musellement de la liberté d’expression sous la pression d’une terreur de plus en plus présente ? Ne sont-ce pas les amalgames et les jugements précipités suscités par un climat de repli sur soi ? Mais nous vous l’accordons, l’art ne doit pas obligatoirement brandir l’étendard des opinions politiques. Cependant, choisir un tel titre d’exposition à l’heure actuelle, à une époque où les tabous refluent en masse, est un choix audacieux et qui se devrait, à défaut de livrer un message, au moins d’ouvrir des réflexions.

Or ici, on a l’impression d’assister à un défilé d’objets provocateurs issus de collections privées, sans fil conducteur. Pourtant, il y a de belles œuvres qui, prises à part, sont dignes d’être exposées. C’est le côté fourre-tout de l’exposition et l’inégale qualité des pièces qui empêchent l’esprit et le regard de véritablement prendre leur envol. Wim Delvoye, artiste belge, novateur, est l’artiste invité de cet opus. En quoi est-il tabou ? Sa vocation est de sans cesse briser les codes, de repousser les frontières entre l’imaginaire et la réalité. Lorsque Wim finance un élevage de cochons tatoués avec amour, leur offrant de trépasser de leur belle mort, et expose leurs dépouilles estampillées Louis Vuitton, il y a provocation et questionnement sur la valeur de l’animal, par rapport à l’humain. Car pour Wim Delvoye, l’un ne prime pas sur l’autre. Il n’y pas d’ordre de valeurs et cela peut nous faire penser à la façon dont certains groupes religieux traitent les femmes et les enfants.

Autre œuvre montrée et remontrée – c’est ce qui nous a un peu épuisée dans ce parcours : le tabou se doit d’être neuf – c’est le Piss Christ d'Andres Serrano. Oui, cette œuvre a fait scandale car elle est d’une beauté stupéfiante, cette croix plongée dans cette lumière dorée, mais elle dérange lorsque l’on comprend le titre et la nature du liquide. Mais cette œuvre a 30 ans ! Elle est un vieux tabou ! Nous avons préféré découvrir le champignon atomique d'Adrian Ghenie ou la peinture noir et blanc de Nguyen Thai Tuan qui montre l’arrestation d’une femme et la main de l’homme posée sur son sein : une agression au curieux parfum d’actualité.

Cela nous a plu de retrouver Helmut Stallaerts, après sa belle exposition à l'ING Art Center, dans une œuvre sexuelle au titre poétique Emptiness Replaces my Soul. La vitrine de Kendell Geers et ses bras ballants au bout d’une chaîne, face au tableau d'Oda Jaune, est une jolie expérience esthétique. Il y a aussi cette peinture de Stephan Balleux qui montre une foule de petite têtes vues de dos, la main droite levée sur un tableau noir, tous contraints d’être ou de devenir droitiers : une liberté qui n’est pas si ancienne et qui pourrait disparaître si le monde est un jour dominé par ceux qui pensent que la main gauche est celle du diable…

Et puis ce tampon usagé de Tracey Emin, une œuvre de 1963 qui continue de déranger, pour ne pas dire dégoûter. Pourtant, nous, nous l'aimons, cette œuvre. Elle est féministe et juste. Elle fait écho à la chanson Rendez-vous de notre icône (ah, un titre d’une expo de Maison particulière) belge Stromae qui dit que la femme, c’est aussi cela. Nous ne parvenons cependant pas à trouver un intérêt dans les peintures de Jean Rustin qui dépeignent une vieillesse en mode voyeurisme, images laides et tristes de ce qui est sans doute un tabou pour certains, mais qui peut être vu d’une manière moins triviale. Nous avons aimé revoir la sublime photo du couple d’adolescents nus de Larry Clark, un photographe mythique sur qui le temps n’a pas de prise. Et été touchée par ce petit garçon démuni de Nathan Chantob, qui dans mon cœur fait écho à une enfance échouée sur une plage grecque...

Pour conclure, il n’y a pas que du mauvais dans cette exposition car prises une à une, les œuvres ont souvent de belles histoires à raconter ou de grandes questions à poser. Alors que faire à La Maison Particulière ? Faire son shopping, tenter de puiser dans ce qui nous est montré de quoi nourrir son besoin, sinon de beauté, au moins de sens.

Maison Particulière
ta.bu
49 rue du Châtelain
1050 Bruxelles
Jusqu’au 26 mars
Du mardi au dimanche de 11h à 18h
www.maisonparticuliere.be

 

Aurore t’Kint

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