Tapta, la douceur de vivre

Mylène Mistre-Schaal
21 juin 2023

Tisseuse des temps modernes, sculptrice textile et exploratrice des potentialité de la matière, Tapta (1926-1997) est une figure incontournable de l’art belge contemporain. Avec Espaces souples, le Wiels propose une sélection de ses sculptures des années 1970 et 80, où reliefs organiques et tactilité ont la part belle. Jusqu'au 13 août.

C’est une cascade de tresses immaculées qui ondoie comme la chevelure indomptée d’une créature extraterrestre. Dans Chute de nœuds, plusieurs mètres de cordes s’entremêlent en un étonnant jeu de textures. Twistés, tissés, noués ou enfilés, les cordages de Tapta (pseudonyme de Maria Wierusz-Kowalski) envoient décidément valser nos a priori sur le macramé.

Guidée par son goût pour l’expérimentation, l’artiste belgo-polonaise n’a eu de cesse de redéfinir les contours de la sculpture et de l’art textile. Formée au tissage à l’École nationale supérieure des Arts visuels de La Cambre, où elle fut également professeure, elle a traversé le XXe siècle et ses avant-gardes en portant haut et fort son goût pour les matières souples, douces et enveloppantes. « Mon rêve ? Créer des lieux aux formes molles, qui vous enveloppent et vous protègent du monde extérieur », aimait-elle à dire. Il y a là un petit quelque chose de l’Anti Form de Robert Morris et de l’univers vibrant de Sheila Hicks, autre pionnière de l’art textile. Disparue brutalement en 1997, Tapta fait aujourd’hui l’objet d’une véritable redécouverte, initiée notamment par la Galerie Maurice Verbaet qui lui consacrait un solo show à Art Brussels cette année.


L’espace des possibles

En coton, laine colorée, sisal ou même crin de cheval, les « sculptures souples » de Tapta adoptent les reliefs changeants et la douceur des formes molles. Au Wiels, les courbes organiques de ses Cocons nous évoquent des nids suspendus, alors qu’à leurs côtés, Sans titre, impressionnante sculpture murale, déploie de voluptueux replis carmins. La fibre brute, naturelle ou colorée, laisse entrevoir le geste de l’artiste, précis et régulier.

Mobiles, couvertures frangées, structures textiles suspendues ou tapis encordés disent son envie d’habiter l’espace. De le transfigurer, même. Une dimension architecturale encore renforcée par la scénographie de l’exposition, scandée par les interventions de trois artistes contemporains invités. Parmi eux, la Belge Greet Billet pose de grands miroirs aux murs, comme des fenêtres ouvertes sur l’intérieur. Kaléidoscopes minimalistes, ils multiplient formes, lumières et points de vue à l’envie. Une dimension atmosphérique également soulignée par les structures transparentes de Richard Venlet ou les paravents de feutre d’Hana Miletić.


Diversification élémentaire

Adepte de la souplesse, Tapta assume le grand écart et fait volontiers bifurquer son art. Privilégiant depuis toujours les matériaux bruts, elle s’attaque, au tournant des années 1980, au caoutchouc industriel. Avec ce nouvel Horizon plastique en tête, elle courbe, plisse et taille le néoprène à coups de boulons, de barres ou de clous métalliques. Ses maquettes, présentées comme un petit théâtre de formes, réinventent la géométrie appliquée. Intitulées Portail oblique, Segment d’une courbe ou Structure élastique, leurs volumes ouverts s’emboîtent et se répondent. Loin de la texture ondulante du textile, leurs surfaces sont invariablement lisses. D’une pureté minimaliste et d’une incroyable cohérence.

Avec Espaces souples, le Wiels retrace l’itinéraire d’un esprit décidément ouvert. Joli hasard, la dernière création de Tapta, sculpture monumentale datée de 1997 (Esprit ouvert, dont la maquette est visible dans l'exposition) ouvre une perspective inédite au croisement de deux grands boulevards bruxellois. Et offre la possibilité d’un horizon sans cesse renouvelé.

 

Tapta, Espaces souples 
Wiels
354 avenue Van Volxem
1190 Bruxelles
Jusqu’au 13 août
Du mardi au dimanche de 11h à 18h

www.wiels.org

Mylène Mistre-Schaal

Journaliste

Historienne de l’art avec un goût prononcé pour l’art contemporain, Mylène Mistre-Schaal est collaboratrice régulière pour le magazine culturel Novo. Elle écrit également pour le city-magazine français ZUT et pour la revue Hermès. Co-autrice du livre L’Emprise des Sens aux éditions Hazan, elle s’intéresse tout particulièrement aux rapports sans cesse renouvelés entre l’art et les cinq sens. 

 

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